51. Gouvernance mondiale

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« Ils arrivent, ils arrivent, fuyez ! »

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Nov Lattag, secrétaire général du BIS, s'avança sur la tribune.

C'était le troisième homme de l'institution. Après le directeur général et le directeur général adjoint. Il faisait aussi porte-parole à certaines heures. Ce soir, il n'était pas là en tant que voix du BIS, mais en tant que soutien d'un homme politique encore récemment inconnu du grand public.

« Merci Georges, merci pour ce merveilleux discours d'introduction. »

Il n'avait pas de pupitre, un micro directionnel le suivait en captant sa voix et les hauts-parleurs le retransmettaient en annulant le bruit ambiant des auditeurs du meeting – presque cent mille entassés dans ce stade de football, mieux que le concert d'adieu de John McCart la semaine précédente qui avait fait tout de même dix morts.

Le service de sécurité avait coûté une fortune, mais elle serait compensée à moitié par la vente de boissons et de goodies aux couleurs du PGM.

Derrière Nov, un million de lasers convergeaient pour matérialiser une immense bannière translucide. On les utilisait pour les événements sportifs, lorsque la Coupe dorée descendait du ciel sur l'équipe victorieuse, et tant d'autres effets que les captures 3D rendaient très mal et qu'il fallait voir « en vrai » – le but inavoué de ce genre de technologie, entraîner les supporters à sacrifier leur budget vacances.

Les trois lettres y dansaient, brillantes, dans leur éclat irisé.

« Nous savons tous que la démocratie a vécu. Elle a connu son heure de réjouissance à la fin du 20e siècle, et le 21e siècle a signé sa déchéance. Et maintenant, nous, les hommes du 22e siècle, nous sommes à l'aube d'un grand changement, à l'aube d'une révolution.

Si nous sommes ici ce soir, Georges, c'est parce que nous ne voulons pas que cette révolution se fasse dans le mauvais sens. Nous ne voulons pas que de l'ère de confusion politique que nous avons vécue, émerge un chaos encore plus grand. Nous voulons, au contraire, que quelque chose de beau naisse et grandisse enfin.

Ce que nous voulons, c'est la victoire du PGM. »

Des gens applaudirent à se briser les mains, mais les atténuateurs de bruit fonctionnaient à plein régime, afin que le silence paraisse total, que l'ovation n'explose que sur demande de l'orateur. Du point de vue du son, un meeting est plus complexe qu'un concert. Pour un concert de Jon McCart, étant donné l'alcoolémie moyenne du public, n'importe quel bruit de fond guitarreux conviendrait ; tandis que la voix de Nov Lattag se doit d'être claire, de porter haut, celle de Georges Lanz doit être étincelante.

À long terme, la victoire du PGM était assurée. Les hommes politiques des partis au pouvoir préparaient déjà leur retraite au soleil ; des gens soucieux et pusillanimes emplissaient les assemblées et les bureaux dorés, fouillant les tiroirs à la recherche des fonds qu'ils pouvaient racler avant de tirer leur révérence.

« La démocratie ! hurla Nov Lattag, aidé par la puissance de batteries d'amplificateurs et des hauts-parleurs directionnels qui transformaient sa voix en tonnerre, en rugissement d'un moteur de fusée au décollage.

La démocratie a vécu ! »

Une vague de son déferla dans le stade et emplit les oreilles des spectateurs, aussi puissante et enivrante qu'un solo de Jon à 150 décibels. Nov trônait au milieu de cette tempête, entouré de cent caméras à téléobjectifs zoomant sur sa figure, alors que lui-même était protégé du bruit par les annulateurs. Sans eux ses tympans auraient explosé, mais la technologie était là pour l'entourer d'une inexorable aura de puissance. Son pupitre semblait prêt à se détacher, emporté par le souffle déchaîné du public, et lui tenait bon. Il avait la force de cent mille hommes pour réussir cette confrontation.

L'ère des esclavesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant