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23 avril 2011

Je ne sais toujours pas ce qu'il m'a pris d'accepter son invitation, à Greg. Reste que je suis en bas de chez moi, à l'attendre, rue Boulard...

Ouais, il s'en est passé des choses depuis la dernière fois, en à peine 20 petits jours. A commencer par mon retour forcé au domicile familial. Ken a signé le bail de coloc' avec Sneaz et les deux frangins, seulement quelques jours après que j'ai su qu'il en avait le projet. J'ai pas réussi à lui faire la gueule trop longtemps. Après tout, il m'a semblé qu'il avait pris la décision avant que je ne débarque chez lui. Et tout est ensuite allé très vite, il devait libérer son appartement, une jeune étudiante prenait immédiatement le relais. Je n'avais aucune envie de rester là-bas, seule, sans lui, et j'avais encore moins de plan B pour aller crécher ailleurs. Je sais que si je l'avais demandé à James, il m'aurait accueilli chez lui avec plaisir, mais après ce qu'il m'a fait, je me voyais mal squatter chez lui, excuses ou pas. Et surtout, il était temps que je rentre, je n'avais plus de collants.

Les gars ont visité ce fameux appartement le lendemain, derrière Montrouge. Avec deux chambres, un salon, une petite cuisine équipée, balcon et salle d'eau, ils avaient tous craqué, conscients qu'ils ne pouvaient avoir mieux. Sans trop de situation stable pour les quatre, le propriétaire, connaissance de Mekra, leur a fait signer le bail sans trop d'exigences financières. Mais le loyer est à payer quand même ; alors les deux frangins ont pris un contrat sur un gros chantier en banlieue, Sneaz cherche un taf et Ken s'est résigné à retourner au Mac Do d'Alesia, en manque de personnel, qui n'a pas hésité longtemps à le reprendre.

En moins de dix jours, tout ce petit monde a pris ses quartiers dans cet appartement, juste assez grand pour tous les accueillir sans qu'ils se mettent dessus. Ken était tellement désolé de me « foutre à la porte » que c'est à peine s'il a osé me regarder dans les yeux quand il m'a dit, une grosse valise sous le bras, que Mekra l'attendait en bas, pour amener les dernières affaires à Montrouge.

Mon gros sac à moi, coincé contre mon épaule, le clavier écrasant mon dos, mes sacs de fringues me lacérant les doigts, le cœur lourd, résignée, ravalant difficilement ma fierté, je me suis demandée tout le long du chemin si je faisais bien. Surtout pourquoi je n'avais pas pris de taxi. Je me suis retrouvée au 13, rue Boulard, devant chez mes parents. Le doigt sur la sonnette, je me suis dit que je ne pouvais pas revenir, en rampant, comme une fleur, après ce qu'on s'était dit, mon père et moi. Jamais on ne pouvait se pardonner des mots pareils. Jamais plus je n'aurais le droit d'être sa fille.

Le sourire heureux se dessinant sur son visage étonné m'a persuadé du contraire, m'a donné envie de croire qu'on avait tous deux, droit à une seconde chance. Sans trop savoir quoi se dire, je suis restée dans l'embrasure de la porte, le sac pendant à mes pieds, à le regarder, presque interdite. Il a remonté ses lunettes sur le front, et m'a fait signe du bout de sa main de la direction à prendre pour retrouver ma chambre.

Avant que je ne bouge, il a appelé ma mère, depuis la cuisine, qu'elle vienne voir qui était revenue. Le cri de joie de ma mère quand elle m'a vue m'a arraché ces foutues larmes, retenues le temps que je me suis trouvée seule avec mon père.

Le soir même de mon retour, autour d'un plateau de sushis livrés, ni lui, ni elle ni moi n'avons reparlé de cet épisode, se contentant simplement de mon retour, en abordant plus le futur que le passé. J'ai essayé de leur dire que mon retour était temporaire, le temps de me trouver du fric et un appart. Mais mon père ne m'a pas laissé finir ma phrase qu'il insistait lourdement, de sa grosse voix, que je resterais ici le temps que je voulais. A une seule condition, celle de ne pas oublier chez qui j'étais, et que plus jamais je ne leur manquerais de respect.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant