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-    Salut Ambre !

-    Salut les gars !!

Pour mes trois gars, j'ai même cinq minutes d'avance. Ma basse trépignait dans sa housse depuis le début de l'après-midi. Elle attend que mes doigts ronds viennent frapper ses cordes et m'aide à m'éclater pendant deux heures.

Ma basse me connaît mieux que quiconque. Elle m'a même déjà vue toute nue. Mes souvenirs ne sont pas très clairs concernant cette soirée, mais j'ai des flashs. J'étais rentrée complètement arrachée d'une soirée dans un bar avec les mecs, il était deux heures du matin passées quand j'ai rejoint ma piaule. J'avais réussi à me désaper, non sans faire tomber ma pile de Cd's sur mon bureau et ma gratte sèche qui trône dans un coin de ma piaule.

Nue comme un ver, je ne sais toujours pas pourquoi, le velux grand ouvert, j'avais branché ma basse et m'étais mise à jouer férocement ma partie de Killing in my Name des Rage Against of Machine. Ça tambourinait sec, et le volume à fond de mon ampli faisait vibrer chaque vêtement, chaque objet, en vrac dans la pièce. Sans oublier les voisins de l'immeuble derrière. Ils ont gueulé comme des putois jusqu'à ce que je veuille bien arrêter. C'est mon père, une main sur ses yeux pour ne pas avoir à supporter ma nudité incohérente, qui était venu me débrancher l'ampli non sans m'engueuler copieusement.

J'ai encore le souvenir que j'avais envoyé un « vas te faire foutre » d'anthologie à mon connard de voisin, et abattue par le sommeil et l'alcool, je m'étais affalée dans mon plumard, toujours nue et accrochée à mon instrument et endormie aussi sec.

Elle m'a vue pleurer, et du coup s'est déjà prise des torrents de larmes sans jamais défaillir, contrairement à moi.

A un moment sombre, et sans importance de ma vie, j'avais cru bon de la délaisser un temps. Je ne ressentais plus le besoin de la brancher et de m'exciter sur ses quatre cordes. Juste de lui donner des coups de pieds rageurs en passant tous les soirs devant. Elle m'avait punie sur ce coup-là. Quand j'ai voulu la ré-adopter, elle ne fonctionnait plus. Une crise de panique et une note de 100 balles à mes frais plus tard, elle avait passé son contrôle technique et contre-visite haut la main !

-    Ambre, on avait pensé à un nouveau morceau à reprendre.

Oui, on fait dans la reprise. On ne ressent ni l'envie ni le besoin d'inventer des morceaux quand des artistes géniaux et sublimes nous permettent à notre niveau d'évacuer nos émotions, nos peines et nos joies à travers leur musique.

-    Ouep, un peu de nouveauté ne nous fera pas de mal. Vous avez pensé à quoi ?

J'adore quand ils prennent ce genre d'initiatives. J'aimerais en prendre mais du fait d'être bassiste, et de pouvoir jouer de tout, ce sont les mecs à la guitare qui ont le droit de choisir des morceaux à leur portée. Ils me concertent toujours, sinon nous ne serions pas un groupe, le morceau doit être validé à l'unanimité, mais le choix de base s'opère chez Maël et Simon.

-    PIxies, Where is my Mind.

Oh putain, de nom de ... Non, pas cette chanson. Toutes, mais pas celle-ci. Je ne pourrais pas.

-    Apparemment, tu kiffes pas ?

-    Hein ? je réponds dans mes pensées, lugubres et douloureuses.

-    Tu n'aimes pas, pour parler comme des vieux.

-    J'ai compris, James. Pas la peine de... Bref. Si, j'aime, mais on la connaît non ? On pourrait se faire un Sonic Youth, un Blur, ou même du Deftones.

Deftones, avec son métal hyper lourd, était à mon goût trop violent pour nous. Dieu sait que leurs chansons en ont dans le bide, mais musicalement, je trouve que cela ne nous ressemble pas. On ne joue que le rock apprécié par nos parents, notre héritage, et Deftones n'en fait pas partie. Mais pour éviter de jouer Pixies, je suis prête à tout.

James, qui me connaît bien, note :

-    Si tu es prête à jouer du Deftones, c'est que tu ne veux vraiment pas jouer Where is my Mind...

Finement observé, mon pote. Mais je ne peux pas leur donner la vraie raison, Je ne veux pas. Trop personnel. Trop douloureux.

-    Si on jouait nos sons habituels, on en reparlera à la prochaine répèt', dis-je sans grande conviction, mais espérant tout de même qu'on passe à autre chose.

-    Ok, acquiescent les garçons en même temps, pas franchement convaincus.

Pendant qu'on s'installe, et que je fume ma clope tout en branchant ma basse, j'entends les garçons chuchoter entre eux, et préfère ne pas tenter de décrypter ce qu'ils se disent. Ma clope se consume, aussi vite que le rythme effréné de notre premier morceau, le même depuis le début.

L'histoire de notre groupe est cruellement banale. Pendant qu'ils finissent de tout installer, je préfère me remémorer cette partie de ma vie que la phase précédente, qui n'aurait aucun intérêt.

J'étais sortie de chez moi, l'estomac, le cœur et mon âme en vrac. Il faisait froid, normal on était fin janvier. Les rues dans mon quartier étaient désertes et j'avais apprécié de me retrouver seule avec moi-même dans les rues de Paris à cette heure-là. Les ruelles sombres m'engloutissaient les unes après les autres, et me recrachaient avant de me ré-engloutir. Le moment entre les deux me semblaient être comme une renaissance, celui quand j'arpentais la rue de bout en bout ressemblait comme au long couloir de la mort. A la place de la chaise électrique m'attendait un nouveau couloir. Dans ce long dédale de couloirs sombres, je m'étais perdue. Pour de vrai, parce que je m'étais de toute façon perdue moi-même un mois avant.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant