Epilogue

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« Laura ? Tu sais où est ma cravate ? » criais-je dans les loges.

- « J'crois que c'est ton fils qui l'a prise. » répondit elle

Je me dirigea vers Larry, le petit dernier, le seul garçon de la fratrie.

« Larry, rends la cravate à papa » demandais-je doucement a mon fils.

- « Mais papa, moi aussi je veux aller sur scène ! »

Je souris. Sa petite frimousse me rappelait moi quand j'étais petit. J'avais le même visage.

« Va rejoindre Marie, Emma et maman, vous viendrez sur scène quand j'aurais fini de parler, c'est promis » fis-je embrassant Larry sur le front et en attrapant ma cravate par la même occasion.

C'était l'heure de monter sur scène. Les plus grandes chaines télé étaient présentes, et des centaines de personnes étaient la aussi. Non, ce n'était pas un concert. Non, ce n'était pas une pièce de théâtre, ni même une émission TV. C'était moi. Marban.

Moi, sur cette scène, devant tout ces gens qui étaient passés devant moi m'avaient ignorés pendant cinq ans.

« Alors.. Bonsoir à tous et à toutes.. Si ce soir je suis là, c'est pour vous raconter mon histoire, vous vous en doutez. » commençais-je un peu stressé.

Tout les regards étaient rivés sur
moi.

« Je m'appelle Marban. J'ai trente-six ans maintenant. Il y a vingt-deux ans aujourd'hui, je me suis installé sur un banc en tant que sans-abris. 

J'ai passé cinq longues années assis sur ce banc, qui porte la marque de mon passage. En effet, la première année, chaque jour je gravais quelque chose sur ce banc. Quelque chose de simple qui avait marqué ma journée. »

« On aurait pu m'arrêter pour vandalisme ou degradation de bien public. » fis-je remarquer d'un ton rieur, qui contribua a faire rire la salle.

« J'avais aussi ce carnet, un peu saccagé maintenant, mais qui témoigne des mes cinq années dans la rue. » dis-je en levant le carnet en l'air.

« Ces cinq ans ont été loin d'être simples. J'ai perdu presque les deux tiers de mon poids de départ pendant cette periode. Je ne mangeais pas, buvais peu.

J'avais des amis. Je pense à Pierre, Imane.. Et il y avait cette femme, Flore, de qui je dépendais totalement.

Elle m'apportait à manger, a boire, elle me logeait même parfois. Jusqu'à ce qu'elle partes sans même me dire au revoir.

Vous savez, la période après son départ a été la plus dure de ma vie. J'ai volé pas mal de fois une bouteille d'eau ou même quelques cookies. »

Je pouvais entendre les murmures d'indignation de quelques bourgeois de la salle.

« Mesdames et messieurs, oui, je suis un voleur ! Mais jusqu'à ou iriez vous si vous étiez dans mon cas ? Pas mal de fois des sans-abris m'ont volé TOUT ce que j'avais, je me retrouvais sans aucune miette, aucune goutte d'eau ni un centime. J'ai pensé au suicide un nombre de fois incalculable. Je n'avais plus personne, plus rien, j'en venais même à manger des bouts de ma propre peau. Comment auriez-vous fait pour survivre, autrement que comme ça ? »

Je fis une courte pause pour laisser aux gens le temps de se questionner.

« Enfin... J'étais un homme mort. Mort, jusqu'à ce qu'elle m'aperçoive, elle, Laura. » fis-je en souriant doucement. « Elle est venue m'aider alors que j'étais sûrement sur le point de quitter ce monde. »

« Elle m'a sauvé. » soufflais-je.

Je chercha Laura du regard, et la trouva. Sa main était posée sur son front, signe d'une grande émotion chez elle.

« Elle a toujours été présente à partir de ce moment là. Toujours. Elle m'a aimé, plus que personne ne m'a jamais aimé, pas même mes parents. Et je l'ai aimé en retour.

Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle s'était intéressée a moi, alors que je n'étais plus qu'un cadavre sur ce banc, elle m'a regardé, a haussé les épaules, et m'a avoué qu'elle était dans l'établissement que je fréquentais avant, et que même échoué sur ce banc, je dégageais toujours cette "chose" qu'elle avait déjà remarqué chez moi au bahut. N'est ce pas là la phrase la plus touchante du monde ?

Enfin.. Dès qu'elle fut majeure, Laura a acheté son appartement et m'a proposé d'y habiter. Je n'avais rien du tout, elle devait tout payer et je lui avait fait remarquer cela. Mais elle m'a regardé, et m'a dit que ce n'était pas grave. Que maintenant on construirait notre vie ensemble. »

J'eus un petit rire nerveux.

« Et regardez ! Regardez, mesdames et messieurs. Regardez ou on en est ! On a forgé notre vie. Ou plutôt, elle m'a aidé a reconstruire, et forger toute ma vie. Elle a réussi a effacer toutes ces années de malheur avec sa simple présence. Vingt-deux ans plus tard, je me lève à ses cotés. J'ai un métier bien payé, une maison, une famille, trois enfants parfaits, et surtout une femme formidable à qui je dois la vie maintenant. »

Je fis signe à ma famille de me rejoindre. Les quatre peinèrent à avancer, sous le regard de tout ces gens.

« Et je ne sais pas comment je me suis retrouvé sur cette scène ce soir, pourquoi j'ai la chance d'etre devant vous vivant en ce jour, pourquoi j'en suis là, a raconter mon histoire. Je ne sais même pas pourquoi c'est moi qui ait été sous ces projecteurs, seul, alors que tout le mérite reviens à ma femme. Mais enfin, je souhaite d'avoir la chance que j'ai eu à tout les sans-abris du monde. Certains d'entre vous ce soir, se retrouveront peut-être à la rue, un jour. Contrairement a ce qu'on pense, ça n'arrive pas qu'aux autres. Alors profitez, s'il vous plait, du confort dans lequel vous vivez. »

« S'il y a des sans-abris qui peuvent me voir aujourd'hui par le biais de n'importe quel écran... Je veux que vous teniez bon. Peu importe le nombre d'années que vous êtes dans la rue, tenez bon. Le combat n'est pas gagné, mais il n'est pas perdu non plus. Forgez votre propre histoire, une histoire poignante et vraie que vous pourrez raconter un jour, ici, a ma place. »

Je leva le regard vers les projecteurs, derrière lesquels je savais les caméras. Je fixa une d'être elle, et avec un sourire peu marqué mais sincère, je souffla:

« Et surtout, ne pleurez pas, vous vous déshydratez. »

Journal d'un SDFWhere stories live. Discover now