14. Effondrement gravitationnel

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"Ce que nous prenons pour la paix n'est qu'un armistice entre les conflits : la planète grouille, saigne, et ne saurait vivre sans cette violence." - Jean Cocteau

***

Sol 314, an martien 10, 13h15, heure martienne.

Je n'ai plus la volonté de faire quoi que ce soit.

Nous allons tous mourir, par leur faute, par leur égoïsme, par leur espoir vain et stupide.

Les choses ne peuvent plus s'arranger, n'est-ce pas ? Tout ira de pire en pire, jusqu'à l'ultime souffle qui nous balaiera.

Malgré tout, nous avons commencé une seconde mission de ravitaillement vers Sithonius Lacus, tout d'abord pour fournir des vivres aux pionniers toujours présents là-bas, mais aussi pour nous assurer un stock de survie au cas où.

Tous les explorateurs sont mobilisés, m'arrachant encore Hayden, qui demeure à Sithonius. Tout semble graviter autour de la seconde base, alors même qu'il a été décidé qu'il ne s'agirait que d'une solution d'urgence.

Ainsi tous ceux qui avaient voté pour s'établir là-bas sont largement les plus actifs : tous, sauf moi. En fait, je n'éprouve plus l'envie de faire grand-chose.

Hawa et Irena sont toutes deux rentrées il y a deux sols. Les autres pionniers ravitaillant la base épaulent Chris dans ses tentatives de communications avec la Terre.

Par la fenêtre des laboratoires, je regarde le rover deux places s'arrêter en soulevant un nuage de poussière. Deux silhouettes descendent du véhicule. Alex avance en claudiquant, soutenu par Alma. Sur la base, tous semblent soulagés qu'il soit enfin de retour : il a fallu attendre que notre blessé soit en état de se déplacer, et surtout d'enfiler sa combinaison pour se protéger des radiations, avant qu'il ne puisse rejoindre la base.

Et malgré tout, je ne peux m'empêcher de souhaiter voir Hayden entrer par le sas à sa place. Une semaine sans sa présence qui m'était devenue si familière.

Il me manque, terriblement.

***

Sol 315, an martien 10, 7h51, heure martienne.

Je me déteste d'être aussi puérile. Je me contente d'errer sur la base, de contempler Jason et les autres enfants jouer, mimant une invasion extra-terrestre.

Tout semble flotter à la lisière de ma conscience. Je ne sursaute même pas lorsque la main de ma mère se pose sur mon épaule. Ma mère qui a voté pour rester : ma mère qui croit encore aux promesses de Mars Utopia. Un élan de colère bouillonne au fond de mon être.

— Ma chérie, Hayden veut te parler.

Mon coeur se met à battre plus fort. Hayden. Devant le regard de ma mère, je me contente de hocher la tête.

— Harmony...

— Quoi ?

Mon ton est plus sec que je ne l'aurai voulu, signe évident de ma rancoeur. Ma mère ferme les yeux une seconde.

— Je sais que tu es en désaccord avec ton père et moi, mais il faut que tu nous comprennes.

— Je vous comprends. Vous ne voulez pas quitter cette fichue base parce que vous y êtes trop attachés, parce que vous pensez que tout est rentré dans l'ordre. Mais ce n'est pas une raison pour tous nous sacrifier.

— On doit rester soudés, Harmony. Si nous n'y arrivons pas malgré les difficultés que nous traversons, alors c'est que la colonisation de Mars est vouée à l'échec. On ne peut pas établir une société si nous n'acceptons pas les décisions de la majorité. Tu comprends ?

Fille de Mars -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant