Mur

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dis à j m que tu sais qu il est un tueur avant que je lui dise moi meme


   Je n'ai pas montré le mot à Clarke. Je ne l'ai pas montré à Bellamy. Je ne l'ai pas montré à Jasper et je ne le montrerai à personne d'autre. Même si je le voulais, il repose déjà au fond d'une poubelle, le cahier vierge qui l'accompagnait y compris. Le titre de la meilleure écolo de l'année ne me reviendrait pas, mais au moins je m'éloigne de celui de la cruche du siècle. Je ne me laisserai pas marcher sur les pieds par quelqu'un qui n'a même pas le courage de se montrer. 

   Reste à voir pendant combien de temps j'arriverai à tenir cette résolution. Je soupire en espérant que, pour une fois, il ne s'agisse pas de minutes.

- Mademoiselle Parrish, vous êtes avec nous?

- Oui madame Griffin, je marmonne en essayant discrètement de déchiffrer ce qu'il y a écrit sur le tableau derrière elle.

   Quelque chose avec Guy de Maupassant, une sorte de schéma structural du roman - quand est-ce qu'elle a eu le temps d'écrire tout ça? Le cours a débuté il y a dix minutes, grand maximum...

- Donc? Est-ce que le personnage de Jeanne est l'archétype d'une héroïne tragique de son époque?

- Euh... (J'ai beau avoir lu le livre pas plus tard qu'aujourd'hui, j'ai du mal à voir à quoi elle fait référence.)  Et bien, elle n'a pas mené une vie très heureuse... (Je jette un coup d'oeil nerveux à la montre qui orne le mur à ma droite. Une bonne quarantaine de minutes se sont déjà écoulées. Douce nuit.) Mais d'un autre côté, dans le contexte de son époque, je ne pense pas qu'elle était le plus à plaindre. (Madame Griffin me fait signe de continuer.) Jeanne avait une maison, une famille, un mari...

- Or justement, celui-ci va l'abandonner après quelques mois seulement...

- S'il ne serait pas parti, il lui aurait probablement fait beaucoup plus de mal, dis-je en essayant d'argumenter au mieux que je puisse le faire en attendant que mon cerveau se remette en marche normale.

- Mais c'est le départ de son mari qui va plonger Jeanne dans la tristesse...

   Je suis à deux doigts de dire à la prof que je n'ai aucune idée de ce dont elle est en train de parler et que la petite Jeanne et son copain sont le cadet de mes soucis lorsque j'entends une voix s'élever dans la salle.

- Elle avait peur.

- Mais encore, Bellamy?

   Madame Griffin semble à la fois énervée qu'il n'ait pas levé la main pour parler et intriguée par le commentaire qu'il vient de faire. Tant mieux, au moins son attention n'est plus braquée sur moi. Bellamy est presque assis à côté de moi, seule une allée jonchée de sacs de cours et de jambes d'élèves mal installés nous séparent.

- Son mari ne lui manquait pas, c'était de la solitude qu'elle avait peur.

- Tu ne penses pas plutôt qu'elle était fatiguée, peut-être déprimée de voir tous les jours le même ciel gris, de toujours -

- Elle avait peur. On ne prend jamais les bonnes décisions quand on a peur.

   A cet instant précis, sur ce dernier mot, Bellamy tourne si soudainement la tête vers moi que je dois réprimer un sursaut. Et à cet instant précis, lorsque ses yeux foncés se plongent dans les miens, je me rends compte que la petite Jeanne de l'histoire n'était pas la seule à avoir peur de quelque chose. De quelqu'un.

* * *

   Lorsque la sonnerie a marqué la fin du cours, j'ai rangé toutes mes affaires et me suis ruée hors de la salle en l'espace de trois secondes. Maintenant, j'ai maths avec M. Kane et pour la première fois depuis le début de l'année, cette pensée m'enchante presque. En maths, je ne suis pas dans la même classe que Bellamy et ça, c'est exactement ce dont j'ai besoin en ce moment.

John Murphy » The 100 AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant