Sept heures quarante-cinq

2.1K 193 25
                                    

   Le lendemain matin, je me réveille en sursaut lorsque j'entends des gros coups frappés sur la porte.

- Douce nuit, dis-je en me redressant dans mon lit tout en essayant d'atteindre en vain l'interrupteur. Clarke, tu attends quelqu'un? Clarke?

   Dans la pénombre, je vois mon amie mettre son oreiller sur la tête et se tourner vers le mur. Je soupire, me redresse à contrecœur et frisonne lorsque mes pieds touchent le sol glacial. J'enfile un gilet par-dessus mon vieux pyjama et me dirige vers la porte.

- Qui est là? je demande en me débattant avec l'énorme trousseau de clefs.

- C'est moi, répond une voix rauque.

- Bonjour toi. Oh, salut Bellamy, dis-je lorsqu'il entre dans la pièce.

   Je ne le connais pas depuis très longtemps, mais il a définitivement l'air énervé. Très énervé. Il se dirige vers la fenêtre et remonte les stores d'un seul coup si sec que je crois qu'on devra se contenter des rideaux dans les jours à venir.

- Réveille-toi, Clarke. (Quand elle ne réagit pas, il ajoute plus fort:) Maintenant.

- Tu as vu l'heure qu'il est, Bell?

- Oui. 7h45.

- Très drôle. Qu'est-ce que tu viens faire dans la chambre de deux filles à 7h45?

   Il soupire et se passe une main sur le menton, l'air plongé dans ses pensées.

- Vous deux. Dans quinze minutes. En dessous du chêne.

- Le chêne, celui qui est dehors dans le froid?

   Rien qu'à l'idée de sortir par ce temps gris, je serre mon gilet un peu plus autour de moi. Ce n'est pas que je n'ai pas l'habitude de cette météo, c'est juste que sortir par un temps pareil à sept heures quarante-cinq un dimanche matin ne faisait pas vraiment parti de ma To-Do-List.

- Oui Ava, le chêne dehors dans le froid. Tu vas survivre à ça. Quatorze minutes, dit-il en se dirigeant vers la sortie.

- Je te déteste, Blake, marmonne Clarke lorsqu'il est parti.

* * *

   Quatorze minutes plus tard, nous sommes donc assises en train de congeler sur un banc froid sous un arbre qui a décidé de faire tomber toutes ses feuilles maintenant. La chevelure blonde de Clarke est constellée de tâches orange et brunes et je me félicite intérieurement d'avoir pensé à mettre un bonnet. Avec mon énorme parka bleu vif et mon pantalon de pyjama à pois rouges je dois avoir un look du tonnerre, mais personne n'est encore debout à cette heure-là un dimanche matin de toute façon.

- C'est ridicule, dit-elle. On est ridicules à obéir à Bellamy comme ça.

- Tu n'es pas curieuse?

- Tu crois que je suis ici pour profiter de l'écosystème de la cour du lycée?

- Pas vraiment. Mais je suis sûre que ça doit être très intéressant, les arbres, l'herbe, les buissons, encore de l'herbe... Ok, peut-être pas tant que ça.

   Six minutes plus tard, je vois deux silhouettes sortir du bâtiment principal. Comme je n'ai pas eu le temps de mettre mes lentilles de contact, je ne parviens qu'à distinguer Bellamy (et encore, c'est plus de la déduction qu'autre chose).

- Qu'est-ce qu'il fait là, lui?

- Bellamy? C'est lui qui nous a dit de venir ici, ça serait un peu bizarre qu'il ne se joigne pas à nous, non?

- Pas Bellamy. L'autre connard.

   Pendant une fraction de seconde, mon cerveau entreprend de faire la liste de tous les individus que Clarke pourrait traiter de le-nom-qu'elle-a-employé, mais intérieurement, je sais très bien de qui il s'agit.

   Ils prennent tous les deux place sur le banc en face de nous.

- Salut Helga.

- Salut, Murphy.

   Personne n'ouvre la bouche pendant un long moment. Je les sens mon amie les défier du regard, mais avec ma myopie je n'arriverai même pas à me défier du regard moi-même dans le miroir donc je me contente de fixer un point imaginaire au loin. Très productif, je sais.

- Alors, dis-je finalement en brisant le silence, qu'est ce qu'il se passe?

- Tu sais très bien ce qu'il se passe, rétorque Bellamy sur un ton coupant.

- Sérieusement, Bellamy? s'exclame Murphy. Elle n'est pas le problème.

- Oui, c'est toi le problème ici. Et je ne laisserai pas Ava te suivre.

   Un sourire en coin se dessine sur le visage de Murphy et il se tourne vers son voisin.

- Tu es un peu mélodramatique sur les bords là, tu ne crois pas?

   L'expression de Bellamy se durcit. Il semble être à deux doigts de se lever et de frapper Murphy, donc je décide d'intervenir.

- D'accord, c'est ma faute - peu importe ce que c'est. Bon, c'était très sympa ce petit pique-nique sans pique-nique, mais je crois qu'il va bientôt pleuvoir. Donc je propose qu'on rentre tous à l'intérieur, dans des pièces différentes et qu'on profite de ce joli dimanche.

- Et que je me sois levée à sept heures quarante-cinq (Clarke lance un regard noir à Bellamy en insistant sur ces mots) pour rien? Non, maintenant qu'on est tous là on va finir cette réunion familiale et les gars vont nous expliquer ce qu'est leur put... problème.

- Bonne idée Clarke, dit Murphy. Alors Bellamy, quel est notre put... problème?

   Son regard accroche le mien lorsqu'il passe sous silence le mauvais mot. Au moins, je sais qu'il m'écoute quand je parle.

- C'est toi le problème.

- Oui, tu as déjà dit ça. Tu aurais la gentillesse de développer?

   Je dois réprimer un fou-rire et j'essaye à travers mes yeux de taupe de demander à Murphy de ralentir son sarcasme avant que Bellamy n'explose. Ce dernier soupire avant de se lancer.

- Bien sûr. Elle est gentille. Tu n'est pas gentil.

- Je ne suis pas gentil? Oh, ça me fait vraiment de la peine. Dis-moi, si je m'excuse, est-ce que ça règlera le problème?

   Je me jette sur l'occasion et m'exclame avant que Bellamy n'ait le temps de dire quoi que ce soit.

- Oui, ça règlera le problème. C'est bien de ta part de prendre des initiatives pour la paix commune, Murphy.

- Ton ami ne semble pas de cet avis, dit Murphy en montrant son voisin d'un mouvement de tête.

- Non, il n'est pas trop de cet avis, intervient Bellamy.

- D'accord, les excuses c'est pour plus tard. Mais si quelqu'un pourrait m'expliquer le vrai problème, je pense que ça serait le bon moment.

- Bonne idée. Murphy, c'est moi qui dois lui raconter comment tu as...

- Je crois que c'est mieux si il raconte sa version des faits d'abord, le coupe Clarke qui a été plutôt étrangement silencieuse depuis le début de l'échange. Viens Bellamy, on va les laisser discuter au calme.

   Elle se lève et, non sans que son attitude exprime son agacement, Bellamy fait de même. Ils se sont déjà éloignés de quelque pas lorsqu'il se retourne et dit:

- Tu peux lui raconter la merde que tu veux, mais elle finira par connaître la vérité.



John Murphy » The 100 AUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant