- Ça oui ! Désolé pour ce désagrément, Aurélia. Au fait je ne t'ai pas présenté à ma bande de potes. Voici Lucie, Harry, et celui qui fait la moue dans son coin, c'est Luc.

   - Enchantée...Lâcha t-elle d'une voix frêle.

   - Salut, répondit la fille. Mais puisqu'elle est là, pourquoi ne pas l'emmener avec nous ?

   - C'est une bonne idée, Aurélia, qu'en dis-tu ?

   - Euh... Où ça ?

   - Dans notre squat.On voulait y passer l'après-midi, répondit Lucie.

   - Et bien, pourquoi pas ?

   - Super, on va déjà y aller, mais tu peux nous rejoindre quand tu veux.

   - J'ai des choses à faire, mais je viendrais dès que possible.

   - Génial !Bon, c'est pas le tout, mais on a déjà pas mal de retard, dit Lucie.

   - C'est vrai, à cause de qui, en plus ? Ironisa le chef de la bande. Bon, à tout à l'heure, Aurélia.

   - A tout à l'heure, dit elle avec un grand sourire.

   Tous se saluèrent avec de grands gestes amusés, et Aurélia repartit comme si de rien n'était avec la joie extrême d'avoir fait connaissance avec de nouvelles personnes.

   Mais son bonheur allait bientôt fin. Aussitôt rentrée chez elle, après avoir monté avec peine les centaines de marches de l'immeuble parce quel'ascenseur était en panne, après avoir ouvert la porte de l'appartement en sentant que quelque chose n'allait pas, elle comprit que les choses allaient être loin d'être toutes jolies toutes roses.

   En face d'Annabelle, assis à la petite table dans la cuisine qui leur faisait office de tout, il y avait un gros bonhomme qu'Aurélia reconnaîtrait entre mille grâce à son chapeau de couleur mauve assorti avec son costume qui lui moulait son gros ventre. C'était Monsieur Roublard, le propriétaire de l'appartement, accompagnée de son assistante, la pauvre Magali qui se faisait, racontait-on,malmenée par son tortionnaire de patron. Il se retourna quand Aurélia entra dans l'appartement, et la regarda comme on regardait un gamin dénué de tout conscience.

   - Enfin te voilà,toi. On peut enfin commencer, râla-il avec une grosse voix,impatient de l'arrivée de la jeune fille pour démarrer quelque chose connue de lui seul.

   Aurélia posa discrètement les fleurs sur une étagère, et vint prendre place à côté d'Annabelle. Celle-ci lui prit la main, la regarda tendrement,et écouta avec attention le propriétaire. Aurélia se sentit remplie d'un courage démentiel.

   - Alors, Monsieur Roublard, commença Annabelle, quelle est donc la raison de votre venue ?

   Elle resta polie,mais Aurélia savait mieux que quiconque qu'elle jouait un rôle. En réalité, elle haïssait Monsieur Roublard, comme tout le monde. Car en plus d'avoir un caractère désagréable, ce sale type avait la réputation de mettre des bâtons dans es roues de tous ses ennemis.

   - Et bien, j'ai une mauvaise nouvelle pour vous, Madame Fischer. Une mauvaise nouvelle qui vous a valu mon plus grand agacement. Pas vrai Magali ?

   Sa secrétaire, une grande femme avec des lunettes et les cheveux noirs, acquiesça vivement, la peur de son patron se voyant comme du noir sur du blanc.Tenant dans ses bras un calepin, elle n'était même pas assise à table, elle restait debout à côté de Monsieur Roublard, qui ne semblait pas avoir le moindre remord à ne lui montrer aucun respect.

   - Votre paiement pour le loyer, Annabelle, dit-il d'un air abattu et déçu. Je ne l'ai pas reçu.

   Ces mots semblaient faire écho dans la tête de la concernée. Elle était tétanisée,paralysée sur place. Aurélia sentit sa main se raidir, puis trembler.

   - Mais je vous l'ai donné la semaine dernière...

   - La preuve que non, puisque je ne l'ai pas reçu.

   - Vous l'avez peut-être égaré ?

   - Je dois vous avouer que je suis assez maniaque, je ne peut m'empêcher de faire attention à tout. Alors je suis persuadé de ne pas l'avoir perdu.

   - Attendez, il doit y avoir une erreur... J'ai fait toutes les heures supplémentaires possibles pour avoir le montant.

   - Écoutez, je comprends cela. Je sais que votre situation est loin d'être simple,alors plutôt que d'aller plus loin, j'ai eu l'ingénieuse idée de mettre au point un accord avec vous.

   - Et cet accord,qu'est ce que c'est ?

   - C'est très simple, dit-il en rapprochant son énorme carcasse de la table, ses premiers bourrelets gisant sur le dessus du meuble. Comme je suis de bon cœur, je vous propose pour la prochaine fois de payer le double du loyer, c'est à dire le montant de ce mois plus celui du mois précédent. Si vous réussissez, vous gardez l'appartement avec le prix initial, sinon, ça se réglera devant un juge.

   - Le double du loyer? Mais c'est impossible, déjà que le prix initial...

   - C'est à prendre ou à laisser.

   Annabelle était dans une impasse, et elle s'apprêtait à signer avec le diable pour en sortir. Sa sœur ressentait en elle toute la tristesse et la confusion qui régnait dans son esprit. Aurélia sentit qu'elle voulait la pousser de ses genoux pour mieux réfléchir, alors elle se leva. Pendant un long silence, Annabelle ferma les yeux,frictionnant les sourcils de temps à autre pour .

   - C'est d'accord,dit-elle en rouvrant les yeux. Mais à la moindre embrouille, j'appelle les flics.

   Aurélia resta bouche bée, de surprise mais aussi de peur, tandis que Monsieur Roublard se frottait les mains en sourire d'une face narquoise.

   - Bien, bien. Puisque notre marché est conclu, en toute confidentialité, bien sûr, je vais vous laisser. Et pour ce qui est de la police, Madame Fischer, ils seront sûrement ravis d'apprendre ce que vous n'avez pas fait. Sur ce, je vous dit au revoir.

   Il leva son gros postérieur de la chaise et s'en va en direction de la porte, suivi par les bruits de pas des talons hauts de sa secrétaire Magali.Avant de partir, il pencha la tête par dessus le côté de la porte.


   - Et bonne chance ! Lança t-il, comme un bourreau se moquerait d'un condamné à mort.

Un monde à retrouverWhere stories live. Discover now