Un monde à retrouver

3 - Thomas

   Ça fera la énième fois qu'Aurélia passera devant l'intendance du lycée chercher un billet de retard, dont elle lui expliquera la cause avec une excuse toute faite mûrement réfléchie à l'avance. Ce plan d'action lui trotta en tête au moment-même où elle posa ses yeux paniqués sur son radio réveil.

   Quand elle partit de chez elle, sa sœur Annabelle n'y était déjà plus. Elle fut alors contrainte de fermer la porte de l'appartement à clef, ce qui lui aurait pris moins de temps si son trousseau ne lui était pas tombé des mains pour dégringoler jusqu'en bas de l'escalier.Arrivée au lycée avec l'impression d'avoir couru un semi-marathon,Aurélia déroula son plan comme prévu, fuyant le même regard furieux de l'intendante, puis alla rejoindre sa salle de cours,presque honteuse de sa demi-heure de retard.

   Lorsqu'elle ouvrit la porte de classe, non pas sans avoir toqué comme une forcenée et être entré sans attendre quelconque permission, Aurélia entra dans la pièce. Mr Lançon, certainement en position de lecture vu le livre qu'il tenait entre ses doigts, se figea net et la regarda comme si un extraterrestre venait d'interrompre son cours. Ses élèves le suivirent dans sa médisance, et Aurélia sentit un étrange malaise sous les poids des regards de tous ces demeurés. Elle posa en vitesse son billet de retard sur le bureau de l'enseignant, puis fila en vitesse en direction de sa classe.

   Pendant son trajet, Monsieur Lançon ne put se retenir de lancer une remarque piquante à propos de la retardataire, aussitôt acclamée et répétée en boucle par les singes qui servaient à Aurélia de camarades. Les rires moqueurs n'étaient qu'un bruit de fond pour elle, un son parasite qu'on éliminerait bien avec une paire d'écouteurs. Ah oui c'est vrai, elle était en cours.

   Avant de s'asseoir, elle vit le regard compatissant de Thomas, qui était le seul de la classe à ne pas rire, même Martin le grand timide relâcha toute sa frustration dans cette lapidation de rires. Même si ces grands yeux marrons témoignaient d'une extrême gentillesse à son égard, ça n'allait pas pour autant affecter l'âme meurtrie de l'adolescente.Au contraire, au lieu de lui rendre un sourire bienfaisant, elle lui lança un regard noir et ténébreux, un foudroiement de haine à en donner des frissons dans le dos. Le message était très clair, « tu t'approches encore une fois de moi, t'es mort ».

   « Bien,maintenant que Mademoiselle Fischer a fini son numéro de cirque,nous allons pouvoir continuer la lecture au chapitre 2. Prenez vos manuels à la page... ».

   Sans broncher, les élèves exécutèrent tous les ordres du professeur, sauf Aurélia,qui comme d'habitude, se laissa aller vers les plus intimes de ses pensées. Elle se souvint du rêve de cette nuit, dans cette forêt si merveilleuse et avec cet étrange cerf. Qu'était-ce comme rêve ?Elle n'en avait jamais fait d'aussi spectaculaire, de si réaliste.Mais elle n'avait en contrepartie rien vu d'aussi beau de sa vie, et elle donnerai tout pour échanger ne serait-ce qu'un instant dans ce magnifique paradis contre sa place dans ce cours si soporifique à l'intérêt quasi inexistant.

   C'est lorsque Monsieur Lançon annonça qu'il les dispensais du cours de cet après-midi – pour une réunion du conseil de classe, sans doute -qu'une étoile de bonheur scintilla dans son regard. Un bonheur vite annihilé suite à la réaction excentrique et sans retenue de ses camarades puérils. Mais peu importe, plus qu'une matinée de cours,et elle pourrait enfin de repentir dans son temple favori, la bibliothèque municipale.

   Cette dernière se trouvait en plein centre-ville, à quelques mètres seulement de l'église. L'immense bâtiment à l'architecture moyenâgeuses'imbriquait dans l'ensemble des maisons qui graduaient la rue principale. A l'intérieur, des rangées d'étagères entières de livres, encore de livres. Il y en avait de toutes sortes, mais Aurélia s'attardait peu, voir jamais sur les genres dont elle n'avait jamais fait l'expérience. Elle se concentrait sur les romans de Fantasy et de science-fiction.