Chapitre XI - Héritage.

63 8 0
                                    

Mon père se tenait devant moi.
Je me rappelais avec horreur des rêves de lui que j'avais fait, et me dis tout simplement que ce n'étaient que des rêves. Parce que l'homme qui se tenait devant moi n'était pas agressif ni empli de haine. Il semblait doux, et calme. Timide aussi. Il était grand, très grand. Presque autant que Théodore. Ses yeux étaient bleus ou verts selon la luminosité, il avait des cheveux noirs et une peau mate. Il avait l'air d'avoir une trentaine d'années. Et nous ne nous ressemblions pas du tout.
Quand il me fit un sourire timide, je fus convaincu que je pouvais lui faire confiance. Et je savais intimement ce qu'il allait faire. Je tendis les bras et le laissai approcher.
"Lucas... murmura-t-il d'une voix grave et rèche.
- Père...
- Je suis heureux d'enfin pouvoir te parler en personne.
- Moi aussi.."
Je baissai les bras, surpris qu'il ne fasse pas ce pour quoi il était venu.
"Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose, reprit-il.
- De...?
- Mais si je ne le fais pas..."
Mon père m'ignorait complètement. Il avait l'air de se parler à lui-même. Était-il fou? Ce n'était pas ce qu'il m'avait paru quand il était apparu.
"Mes pouvoirs sont gigantesques, me dit-il. Mais le néant n'est jamais quelque chose de simple à porter."
Mon père était le Néant? C'est vrai que c'était bien plus court qu'"Éclat noir né de la nuit sans Lune". Le Néant était en face de moi, donc.
"La Lune est quelqu'un de puissant, gentil et attentionné. Moi... je ne suis pas gentil ou même attentionné. Je suis le Néant, né de la nuit sans Lune. C'est elle qui m'a créé, elle et le Soleil. Je n'existe pas, pas quand la Lune est dans le ciel. Et maintenant qu'elle n'a plus d'enfant avec le Soleil, elle n'est plus pleine, et elle est toujours dans le ciel sous forme d'une demie Lune. Alors je n'existe presque plus. Il faut que tout rentre dans l'ordre ou sinon toute la planète périra. Les cycles de la Lune sont très importants dans chaque culture, et aussi pour les marées et... et pour tellement d'autres choses... il faut que je te donne mes pouvoirs."
Le Néant s'abattit sur moi, mit ses mains sur mes épaules. Il avait l'air d'être un fou furieux. Ses yeux étaient devenus rouges et une grimace déformait son visage.
Quand il m'empoigna, je sentis une longue et viscérale montée de peur, qui glissa sur ma colonne vertébrale tel un serpent. Je me mis à suer alors qu'il faisait froid, le regard toujours planté dans celui de mon père.
Bientôt, tout devint noir. La dernière vision que j'eus fut deux perles rouges ; les yeux du Néant.

Je me réveillais bien après, toujours couché sur l'herbe à côté de la tombe de Dorothée. Le soir était tombé, le ciel était dégagé et l'on voyait les milliers d'étoiles. Cela me rappelait un vieux conte que j'avais lu quelque part : quand on mourrait et qu'on avait fait de bonnes actions, on devenait une étoile. J'étais sûr que la Directrice était une étoile. J'aurais même dit qu'elle était la plus brillante si ne n'avais su que c'était la planète Mars. Je soupirai, essayant de me relever. Je jetai un dernier regard à la tombe de la personne qui avait été la plus importante pour moi, et disparus.
La téléportation me sembla bien plus compliquée qu'auparavant. Je mis cela sur le compte du transfert de pouvoirs. Dorénavant j'avais peur de mon père. Je me demandais pourquoi est-ce qu'il avait changé si subitement. D'après lui, il n'était plus que la moitié de ce qu'il était auparavant, à cause des cycles de la Lune qui étaient perturbés. Il faudrait que je lui en parle. Que j'essaye de lui faire comprendre qu'il était nécessaire pour tout un écosystème (car ça ne s'arrêtait pas à mon père) qu'elle reprenne ses cycles normaux.
J'atteris devant la porte de ma maison, essoufflé. Mon corps tout entier tremblait, brûlait. Je n'arrivais pas à tendre la main pour ouvrir la porte. Je m'effondrais.

"Lucas..? Lucas s'il te plait... réveille toi..."
"Qu'est-ce qu'il s'est passé?"
"On dirait qu'il s'est battu."
"Lucas... réveille toi... Je t'en supplie..."
"Il a des ecchymoses partout sur le corps."
"Son bras est fracturé."
"Lucas..."
"Hey... Lilaah... t'inquiète pas pour lui, c'est un dur."
"Il fa...l...evei..."
"Il... e...evei...a..."

~~~

"LUCAS! Lucas...! Enfin tu ouvres les yeux! Oh mon dieu j'ai eu si peur pour toi!"
Je me sentis empoigné par de petits bras. Je ne savais pas pourquoi, mais j'appréciais ce contact. Cette odeur qui m'enveloppa me rassenera. Douce, forte et tranquille. Je me sentais bien. Mes yeux restèrent clos. Je n'arrivais pas à bouger mon corps, qui me brûlait.
Je me sentais empoigné par plusieurs personnes, qui avaient toutes des odeurs que j'aimais beaucoup.
Quand me vint une odeur. Une odeur que je n'aimais pas. Une odeur qui signifiait la douleur. Je me redressai d'un coup en ouvrant les yeux. Un chat. Je compris aussitôt. Cette odeur qui émanait de lui était celle du Néant.
"FOUTEZ MOI CE CHAT DEHORS!" hurlais-je à la mort.
Fred se précipita sur Éclat/Néant, qui disparut avant qu'il puisse l'effleurer. Mes amis me regardèrent avec surprise. C'était la première fois que j'étais dans cet état. La première fois que j'étais aussi agressif. Et un chat venait de disparaître. Ils méritaient des explications.
"C'était mon père... murmurais-je en soupirant. Il a la capacité de se transformer apparemment..."
D'un coup, je me remémorais la journée de la veille. Je baissai les yeux pour qu'on ne s'aperçoive pas que j'allais mal. 
Lilaah le vit pourtant aussitôt, et je suppose que les autres aussi l'avaient vu.
"Euh, vous voulez bien nous laisser seuls un moment?" demanda-t-elle.
Tous quittèrent la pièce en me lançant un dernier regard.
Lilaah s'assit sur le bord de mon lit, et caressa mon bras du dos des doigts.
"Tu veux me raconter...?" murmura-t-elle après un moment. 
Je me sentais trop mal pour parler de la mort de la Directrice, même à ma petite-amie. C'était une épreuve que je choisissais d'affronter seul.
Je relevais le visage jusqu'à croiser le regard de celle avec qui je voulais partager ma vie. Dans ce regard, je ne voyais que de l'amour et la peine qu'elle ressentait lorsque j'allais mal. Elle était magnifique. J'aimais vraiment ses yeux. Elle me sourit. Je l'aimais...

Le fils de la LuneWhere stories live. Discover now