Le fils de la Lune

VII- Entraînement

Je me demandais où est-ce que j'avais passé la nuit. Je soupirais en caressant Éclat qui ronronnait contre moi. Je me levais en le prenant dans mes bras, puis sortis dehors. Je me sentais minuscule devant la grandeur des maisons autour de moi. À quelques pas coulait la rivière souterraine, et les rayons du Soleil qui passaient par les trous du plafond éclairaient la ville dans une allure mystique. C'était sombre par endroits et éclairé par d'autres. Des oiseaux de toutes les couleurs volaient çà et là dans un mélange de bruits de battements d'ailes et de cris. Les Solum et les Lunos parlaient entre eux mais aucun ne se touchait. Je fus surpris en les voyant tous courir d'un coup vers le temple de Lune-mère. Un Lunos s'arrêta à un mètre de moi, et me fit signe de les suivre en me criant "Dépèche-toi, Lucas!"
Il avait l'air tellement content d'aller au temple que je sentis l'excitation monter en moi et je me mis à courir aussi. J'entendais des phrases qui n'avaient pas vraiment de sens pour moi.
"Vous croyez que c'est une fille?" "J'espère que ce sera un Solum!"
Je ne comprenais pas. Éclat miaula. Je m'arrêtais le temps de le poser à terre et de le voir filer vers la rivière, puis me détournais pour me remettre à courir. Tout les Solum et tout les Lunos s'arrêtèrent devant les marches du temple. Ils se séparèrent en deux rangées, à gauche les Solum et à droite les Lunos. J'entraperçus Lilaah seule devant les Solum, les bras croisés, regardant d'un air colérique un fauteuil en pierre qui venait d'apparaître à l'entrée du temple. Je me sentis empoigné brusquement puis poussé vers l'avant : je me retrouvais dans la même position que Lilaah. Je me retournais pour demander pourquoi c'était moi qu'on avait mis ici mais des "chuuut!" irrités m'en empêchèrent. Je sentis quelqu'un poser sa main sur mon épaule, alors je me crispai, avant d'entendre une voix que je connaissais bien me murmurer à l'oreille:
"Ça va être à toi, mon frère. Tiens-toi prêt. Je serai là pour te seconder."
Je tendis la main derrière moi et attrappai celle de Lexy pour me donner du courage. Ça n'allait sûrement pas être compliqué, mais passer devant mille personnes comme exposé, non merci. Ma soeur serrait ma main dans la sienne en me faisant passer de la chaleur. Ça me faisait penser à une nuit d'été. Je soupirais.
Une silhouette sortit de l'ombre du temple. Elle portait une longue tunique, du même genre que les femmes grecques, une dague en or était attachée à sa ceinture, et ses poignets, ses bras et son cou étaient ornés de somptueux bijoux d'or. Lune-mère. Ses yeux sombre scrutèrent la foule, avant de se poser sur moi.
"Mes chers enfants! dit-elle fort. Je veux vous présenter un nouveau venu! Lucas, avance-toi, mon fils."
Sans que j'en aie conscience, j'avançais un pied, puis l'autre, et après quelques pas je m'agenouillais au pied du trône en granit.
"Lève-toi, mon fils."
Je me levais et me tournais en face de l'immense foule, droit comme un i, les lèvres serrées, les bras le long du corps.
"Voici Lucas Moon, le Fils de la Lune! annonça-t-elle d'un ton théâtral."
Une grande ovation reçut les paroles de Lune-mère. Tout les Solum et tout les Lunos applaudissaient avec un entrain déconcertant. Quoique, quand on regardait mieux la foule, on voyait plusieurs groupes de personnes qui n'applaudissaient pas, et qui parlaient tout bas entre eux. Je fronça les sourcils.
"Il faut que quelqu'un l'aide! Cet enfant est le dernier que j'ai eu, il est le plus jeune d'entre vous. J'aimerais que Lexy, Nina, Mirah, Théodore et Frédéric l'emmènent au terrain d'entraînement. Et pas plus tard que maintenant. De plus! Si j'en entends un le traiter d'impur..."
Sa dernière phrase était pleine de menace et tout ses enfants eurent peur et furent prévenus. Je me plaçais face à Lune-mère et m'agenouillais, la main droite sur le cœur, la tête baissée.
"Lève-toi, mon fils."
Je me levais, et retourna dans la foule. Lexy me serra dans ses bras, puis me prit la main pour m'emmener je ne sais où.
Après quelques minutes à essayer de passer en force dans l'immense foule, nous nous arretâmes au bord d'un chemin de graviers.
Bientôt, quatre personnes nous rejoignirent. Ils avaient tous des cheveux blancs et des yeux de différents bleus. Seules leurs manières de se tenir et de parler les différenciaient, ainsi que la taille et quelques détails physiques.
"Salut, moi c'est Frédéric, né en Allemagne, dit le premier, un binoclard aux cheveux en bataille, en me tendant une main amicale. Appele moi Fred!
- Heu, enchanté... Fred, dis-je en souriant.
- Moi, c'est Nina, je suis Française! Ravie de te rencontrer!
- Moi aussi, riais-je.
- Moi c'est Mirah, je viens du Canada, même si j'ai un nom pas très canadien... bref, je suis sûre qu'on va bien s'entendre, petit frère!
- Haha, j'en suis sûr aussi!
- Et moi c'est Théodore.
Théodore était plutôt grand, avait les yeux... jaunes?! Oui, il avait les yeux jaunes. Cela m'intrigua au plus haut point.
"Heu, Théodore... tu as les yeux...
- Dorés? Oui. On me le dit souvent.
- Mais pourq...
- Tu verras plus tard.
Il avança vers un chemin un peu à l'écart, dont l'accès était caché par des buissons, et nous le suivimes. Après quelques minutes de marche, nous arrivâmes à un terrain plat faisant à vue de nez quatre kilomètres carrés.
- C'est le terrain d'entraînement de notre groupe, nous sommes les seuls à y avoir accès, m'expliqua Nina.
- Votre groupe?
- Ouaip.
- Comment ça?
- Eh bien, dit Théodore, pour faire simple nous sommes les cinq derniers enfants de la Lune, et elle nous a donné d'immenses pouvoirs. Et toi, en tant que dernier des derniers, tu es le plus puissant de nous tous. Encore faut-il que tu arrives à connaître tes limites, si tu en as, et à contrôler chacun des pouvoirs que t'a donné notre mère.
- Mais je ne suis qu'un simple Lunos!
- Le fait que tu dises ça prouve déjà tout le contraire.
Théodore me fixa de ses yeux dorés, et je crus y déceler un soupçon de haine, de dégoût. Puis il détourna le regard et s'assit en tailleur sur le sol terreux. Mirah, Nina, Frédéric et Lexy firent de même, formant une ligne en face de moi, Lexy au milieu. Je ne savais pas si je devais les rejoindre ou me contenter de les observer. Puis Lexy dit, d'une voix vieillie, craquelée, et qui portait jusqu'au fond du terrain d'entraînement silencieux :
"Les cendres commenceront à tomber,
Et du ciel la Lune tombera
Des milliers de cierges brûleront dans la nuit
Quand les anges se mettront doucement à pleurer
Sur les flammes en dessous du ciel
L'Enfer commencera à se montrer
Les six descendants, avec sagesse et honneur, vaincront les ténèbres.
Ainsi la Lune trônera de nouveau."