Chapitre X - Mort.

78 9 0
                                    

Les jambes suspendues dans le vide, je contemplais la ville souterraine. J'aimais regarder la rivière qui s'écoulait tranquillement, contrastant avec le cafarnaum qui régnait sur ses deux rives. Je ne comprenais pas que l'on divise ainsi les Enfants du Soleil et de la Lune. Mais bon, pensais-je en haussant les épaules, si Lune-mère et le Soleil l'avaient choisi, c'était sûrement pour une bonne raison.
Depuis que le Soleil m'avait touché, je sentais quelque chose se transformer en moi. Je changeais. Trop, beaucoup trop vite à mon goût.
J'entendis un souffle à ma droite ; je tournais la tête et regardais le profil de Lilaah. Ses yeux bleus étaient perdus dans le vague ; une légère brise glacée soulevait quelques cheveux et parcourait sa peau en y laissant des frissons. J'eus soudainement envie de la prendre dans mes bras, de caresser sa peau, de lui dire à quel point je tenais à elle, et tellement d'autre choses que je restai stoïque, de peur de dire ou de faire quoi que ce soit en trop. Je ne réussirais qu'à la vexer, et je m'en voudrais.
"Lucas..."
L'énonciation de mon prénom fit chavirer mon être tout entier. Je fermais les yeux, me concentrant sur les tambourrinements de mon cœur qui allait de plus en plus vite. La voix de Lilaah était douce, douce comme la caresse de ses yeux couleur ciel.
"Tu me manques..."
Cette fois je relevais la tête et plongeais mon regard dans le sien. L'ambiance était électrique, je sentais que tout pourrait exploser dans la seconde et d'ailleurs, je frôlais la crise cardiaque tant mon cœur battait vite. Je n'ouvris même pas la bouche. Je me contentais de me rapprocher d'elle, mettant mes mains sur ses joues, l'attirant tendrement, passionnément vers moi. Lilaah rougit, pencha la tête vers moi... Nos lèvres se rencontrèrent, doucement. Une main sur sa nuque et l'autre autour de sa taille, Lilaah tenait mes avant-bras de toutes ses forces. Ce moment de pur bonheur au goût salé fut brisé lorsque je me détachais d'elle, la frayeur de l'inceste prenant trop de place sur mon estomac pour que je puisse aller plus loin. Lilaah mit ses doigts sur ma nuque, les paumes autour de mon cou, et me murmura : "Nous ne sommes pas frère et sœur, comme tu l'as si souvent répété... je t'en prie Lucas, aime-moi..."
Hypnotisé par ce regard brûlant dans lequel je ne lisais que de l'amour, j'embrassais de nouveau Lilaah. Elle se blottit contre moi, je la tins plus fermement. Ce fut au sommet de la ville souterraine que nous fimes notre première fois. Nous avions auparavant jeté un charme d'invisibilité grâce à nos pouvoirs venant du Soleil, et ainsi, personne ne nous vit. Lilaah était vraiment une femme merveilleuse; et je me suis dit que jamais je ne pourrais en aimer une autre qu'elle.
"Lucas, qu'est-ce que tu écris? me demanda Lilaah.
- Une lettre pour la Directrice de l'Orphelinat, dis-je en lui souriant. Cela fait une éternité que je ne l'ai pas vue et je souhaitais lui rendre visite un de ces jours, maintenant que je supporte la chaleur du Soleil."
Lilaah entoura ma taille de ses bras, posant son menton sur mon épaule.
"Tu voudras qu'on y aille ensemble?
- Je ne sais pas... ça lui ferait sûrement un choc.
- Tu as raison... pourquoi tu n'y vas pas maintenant?"
Je souris, me levais et embrassais Lilaah avec tout l'amour dont j'étais capable. Elle sourit sur mes lèvres, et je me téléportais. Depuis que le Soleil m'avait fait un transfert de pouvoirs, je supportais la lumière du jour et j'avais les mêmes pouvoirs que les Solum. Sortir dehors ne serait donc pas un problème. J'atteris devant le bureau de la directrice de l'Orphelinat. N'entendant aucun bruit, je frappais. Puis, les minutes passant et mon inquiétude grandissant, je fis passer de la lumière à travers la porte et ainsi je pus voir à l'intérieur. Il n'y avait personne. Je me détournais, espérant la croiser dans un des sinueux couloirs de l'Orphelinat.
"Monsieur, vous désirez? m'apostropha une jeune femme. Je ne l'étudiais pas, mes pensées étant toutes focalisées sur la personne que je cherchais.
"Je cherche la Directrice, répondis-je néanmoins.
- Madame Guillot est partie emmener un enfant chez ses parents adoptifs.
- Madame Guillot?
- N'est-ce pas elle que vous cherchez?
- Non! Je cherche Madame Frijus!
- Oh... Je suis désolée de vous l'annoncer, mais Madame Frijus a eu un accident de voiture il y a trois mois ; elle est morte sur le coup. Ce doit être une grande peine pour vous..."
Mon expression se décomposa. Je ne comprenais pas, du moins pas tout de suite. Le ciel se voila ; un éclair toucha le sol au loin. La femme que je prenais comme ma mère était morte. Elle avait été enterré et je n'avais pas été là pour elle. Je sais qu'elle m'aimait comme un fils et c'était réciproque ; ainsi la douleur qui s'empara de moi fut inqualifiable. Encore sous le choc et le cœur en mille morceaux, je demandais à la jeune femme en face de moi où est-ce que la directrice avait été enterrée. Ma gorge était douloureuse, sèche et bloquée, et mes yeux refusaient de verser une quelconque larme.
"Au cimetière de Rosemberg, répondit-elle en posant une main sur mon épaule."
Je regardais sa main, ravalais un sanglot, et sortis dehors. Je ne pris pas la peine de me couvrir pour me protéger de la pluie glaciale, ou de me téléporter pour aller jusqu'au cimetière. J'y allais à pied, pleurant, et le cœur en miettes. Jamais je n'aurais pensé pouvoir ressentir une telle douleur.
Je poussais la porte du cimetière, situé quelques rues plus loin. Je parcourais les allées, jetant à peine un regard aux noms gravés dans les pierres tombales. Instinctivement, je me dirigeais vers le fond du cimetière, un endroit à l'abri de la pluie grâce à de nombreux arbres. L'herbe y était verte, des fleurs des champs poussaient partout... c'était l'endroit où la Directrice aurait voulu être enterré. La pluie s'était calmée ; l'herbe était mouillée et les rayons de Soleil qui perçaient l'amas de nuage donnaient à la scène une atmosphère mystique. Je respirais un grand coup, le corps encore secoué de sanglots, et me calmais. Il y avait ici une tombe, où était gravé en lettres d'or "Dorothée Guillot, 1967 - 2015"
Je m'agenouillais au pied de la pierre tombale, touchais du bout des doigts ces lettres fatales. Elle était vraiment morte. Et elle était enterrée. C'était vraiment arrivé. Vraiment. Une douleur lancinante traversa ma poitrine. Je relevais le visage vers la tombe, où étaient posés trois plaques funéraires. "À notre mère", "À ma femme", et "À ma sœur". D'un petit mouvement du poignet, j'en fis apparaître un quatrième où j'écrivis "À notre Directrice, qui a donné un sens à nos vies". D'un autre mouvement, je fis apparaître un immense bouquet de roses blanches, celles qu'elle préférait.
Je sursautais lorsqu'une main se posa sur mon épaule. Je tendis la main, faisant apparaître cette fois mon arme, une épée faite de chaleur et d'énergie. Je me retournais en pointant mon arme devant moi. Et je me retrouvais face à la dernière personne à laquelle j'aurais pensé.
C'était mon père.

Le fils de la LuneDove le storie prendono vita. Scoprilo ora