Chapitre IX

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Les jours se suivent et se ressemblent. J'ai un rendez-vous quotidien avec le tortionnaire. C'est sans doute le traitement réservé aux assassins d'un membre de la famille royale. Le Roi ne semble pas vouloir me juger. En tout cas, pas tout de suite.

Aujourd'hui, je n'en peux plus. Je suis fatiguée, et chaque mouvement de mon corps est un véritable supplice. J'appelle la mort de tout mon être. Il faut que la douleur cesse. Il faut qu'elle cesse.

La nuit est déjà bien entamée lorsque, dans le couloir, des pas raisonnent. J'entends la clé déverrouiller le lourd mécanisme de la porte et quelqu'un entre puis la referme immédiatement après. Il tient une bougie dans une main, et les clés dans l'autre. Cet homme porte des habits de fête noir et un masque gris, avec de magnifique finitions dorées.

Qui est-il ? Et surtout que fait-il ici ?

- Ainsi donc, c'est vous, l'assassin de notre reine bien-aimée ? dit-il sous son masque, ce qui étouffe sa voix.

Je garde le silence, prise au dépourvu par cette visite nocturne. Il enlève son masque et quelques mèches de cheveux d'un blanc nacré retombent devant son visage. Une grande cicatrice lui barre le nez. Il s'accroupit et me regarde fixement avec ses yeux bleus. Un long silence s'installe dans la cellule.

- Vous... je commence ma phrase mais impossible de la terminer. Son visage me remémore un souvenir datant de plusieurs mois.

Je venais tout juste d'arriver à Rubilacs pour remplir ma mission, et je déambulais dans les allées du marché, tandis que le soleil atteignait lentement son zénith. Je longeais les étalages et, me décida finalement à voler une pomme tant mon estomac me faisait souffrir. J'en saisi une discrètement pendant que le marchand était occupé avec un client, et poursuivis mon chemin sans me retourner. Après avoir parcouru quelques mètres de plus, je me glissa furtivement dans une ruelle. C'est alors qu'un jeune homme y pénétra à ma suite. Je lui fit face et il me dit : " Voler n'est pas digne d'un si joli visage !". Je mordis à pleine dent dans ma pomme pour provoquer cet importun, et il me lança un second fruit, que je rattrapa habilement avec ma main gauche. Il fit volte-face et partit sans un mot de plus, en se mêlant à la foule. Cette rencontre m'avait beaucoup troublé.

- Je suis le prince Elric, me dit-il en me ramenant à la réalité.

- Qu'est-ce que... que venez-vous faire ici ?

- Je suis venu découvrir le visage qui fait trembler les jeunes femmes de la cour, souffla t-il. Et je dois vous avouer que je ne m'attendais pas à vous revoir. Et encore moins dans ces conditions...

Une grande tristesse se lit dans ses yeux bleus. J'ai tué sa mère...

- Pourquoi avoir fait cela ? reprit-il, après un court silence.

- Je n'ai pas eu le choix. Vous avez vous-même pu constater la faim qui m'a poussé à agir. Et celle-ci est en train de causer ma perte. Je suis désolée...

Il se relève et remet son masque en place. Il se rapproche de la lourde porte puis se retourne :

- Moi aussi.

Il quitte la cellule en prenant soin de refermer la porte à clé. Un lourd silence s'installe autour de moi, tandis que les bruits de pas s'éloignent dans le couloir.

*

Le lendemain, quatre gardes viennent me chercher. J'ignore où l'on m'emmène, mais ce n'est pas le chemin habituel pour se rendre dans la salle de torture.

- Où va t-on ? demandai-je à mon escorte.

Le soldat qui m'emprisonne le bras droit resserre son étreinte, puis me répond :

- Le roi Oldrin va rendre son jugement.

À ces mots, un poids écrase mon cœur. Je crains cette rencontre, mais je suis néanmoins sereine. La mort que j'ai tant appelé le soir, dans ma sombre cellule se rapproche enfin.

Après avoir remonté tout les escaliers, nous arrivons dans la petite cour que j'avais aperçu il y a plusieurs semaines, à mon arrivée. Le soleil, que je n'ai pas vu depuis longtemps, m'éblouie mais me réchauffe le visage. C'est agréable !

Mais cela ne dure qu'un instant. Ils me poussent en direction du bâtiment principal. L'intérieur est magnifique. De beaux draps rouges recouvrent les murs d'un blanc éclatant. On poursuit notre chemin dans un long couloir de marbre blanc puis on s'arrête devant une grande porte noir sertie des rubis.

Deux gardes nous ouvrent les portes et une grande salle remplie de nobles s'offre à nous. Le sol est carrelé en noir et blanc, et un tapis rouge brodé d'or nous conduit jusqu'au trône. Le prince se tient debout, juste à côté du roi. L'homme que je crains le plus me fixe avec un regard malveillant. Mon ventre se tord de peur.



*Prince Elric en média

L'Assassine de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant