La Prophétie du Voyageur

XVI-3 : Le Sanctuaire

Ils se remirent finalement en route. Alyne menait la marche, silencieuse, mais tout aussi hostile envers Césape. Le gigan préféra se rapprocher de Galaniel, qui jusqu'ici avait fait preuve du moins d'antipathie à son égard.

« Euh, et toi, tu m'en veux aussi ? »

Le Shawnien haussa les épaules.

« Personne n'est mort, ni même blessé, alors ça n'a rien de grave. Inutile de revenir dessus.

— En fait, tu es non seulement l'humain le plus sympathique, mais aussi le plus compréhensif que je connaisse.

— Et je suis le seul que tu aies rencontré jusqu'ici, c'est cela ?

— Euh, certes. Disons simplement que mon superlatif relatif est à comprendre dans le sens absolu du terme. »

Peu à peu, la terre redevenait ferme. Ils sortaient enfin du marécage. Galaniel leva la tête ; le soleil était encore haut dans le ciel.

Devant eux se dressaient deux grandes colonnes d'un blanc éclatant, recouvertes de motifs dorés. Au milieu, un escalier menait au bâtiment de pierre, vaste enceinte circulaire dont les limites se perdaient dans la végétation. Le Sanctuaire.

Ils gravirent les marches en silence. Autour d'eux, les colonnades laissèrent bientôt place à deux murs recouverts de fresques et d'inscriptions immémoriales. Tous trois pouvaient y déchiffrer des informations relatives à l'histoire des Voyageurs, ainsi que du Sanctuaire. Il était aussi question d'une armée originelle, d'un premier combat, avant même la fondation de l'Ordre. Galaniel ne manqua pas de demander des précisions à Alyne.

« L'armée originelle, ou l'armée des Titans, commença Alyne, est la plus importante menace qu'ait eu à subir l'Univers, d'aussi loin que remonte notre Histoire. Certains y voient l'œuvre du Maudit, d'autres pensent qu'il s'agit de créatures venues depuis les confins de la Galaxie. Toujours est-il que leurs armées ont déferlé, trois mille ans de cela, pour répandre mort et chaos sur leur passage.

« Alors que tout semblait perdu, la Grande Déesse descendit Elle-même sur le Monde des mortels. Elle fit alors don des Pierres d'Origine à un groupe d'Élus, afin de les aider à triompher de leurs ennemis. Elle déchaîna ensuite des pouvoirs considérables, jusqu'à invoquer des créatures surnaturelles à leurs côtés. Ce fut la bataille du Ragnarok, qui marqua la fin des Titans. À ce jour, il n'en reste plus qu'un seul, du nom de Raghlöor, qui s'était détourné de son propre camp. Vous l'avez d'ailleurs déjà rencontré, puisque son rôle est désormais de tester les prétendants Voyageurs, avant qu'ils n'accèdent à l'Antichambre.

— Effectivement, si tous étaient comme lui, je comprends mieux la menace qu'ils représentaient. » Bougonna Césape.

À l'instar de ses compagnons, le gigan se souvenait très bien de son affrontement pénible avec le Titan.

« Qu'est-il advenu ensuite ? Demanda Galaniel

— Après la bataille, la Grande Déesse proposa aux survivants de rester à Son service, afin de prévenir tout autre désastre. La plupart accepta, et fonda ainsi l'Ordre des Voyageurs, sous Ses directives. Elle se retira ensuite du Monde des mortels, et leur en laissa la protection. Ce n'est que peu après que certains se détournèrent du droit chemin, corrompus par leurs nouveaux pouvoirs. Ils essayèrent alors de renverser l'Ordre établi et de s'imposer en tant que nouveaux maîtres de l'Univers. Ce fut la naissance de la mouvance des Itinérants.

— Et depuis tout ce temps, ils traînent toujours ? Demanda Césape. Et la Déesse, elle ne peut pas intervenir ? »

Alyne nia de la tête.

« La Liberté est un des plus grands dons qu'Elle ait voulus nous offrir. Certes, Elle nous conseille, et les Voyageurs sont Ses disciples ; cependant Elle ne prend plus part aux événements. C'est à nous de nous battre pour Elle, désormais, pour le meilleur ou pour le pire, et de traquer le Mal, quel qu'il puisse être.

— Donc, les Voyageurs combattent les Itinérants tout seuls, conclut Césape.

— Il existe une légende, communément transmise sur mon monde, au sujet de la fin des temps : « Lorsque l'ultime combat aura été mené, lorsque l'Univers se répandra en cendres, consumé dans sa propre apocalypse, alors sonnera l'heure du Jugement Dernier. La Grande Déesse redescendra parmi les mortels et mettra fin à l'Ancien Monde. Elle séparera les bons des mauvais, et accueillera les méritants au sein de Son Royaume pour les siècles à venir. »

— C'est amusant, enfin pas vraiment amusant, je dirais plutôt intéressant, car il y a une légende presque similaire dans mon monde, remarqua Césape. Celle de l'incarnation du Grand Esprit, qui arriverait lorsque le monde serait un désert de larmes, et que la vie dépérirait, incapable de se perpétrer.

— Pour tout dire, ajouta Galaniel, nous avons aussi un récit similaire sur Shawn. Il est fait mention de la glace remplacée par des océans de sang, et des flammes qui marqueraient la fin de la planète. En revanche, la Grande Déesse y est remplacée par notre Déesse Cristal. »

Alyne esquissa un sourire.

« Les noms changent souvent, d'un monde à l'autre. Mais les légendes demeurent, inchangées malgré les âges, ce qui ne fait que mieux prouver leur véracité.

— Une minute, l'interrompit Césape, tu serais en train de m'expliquer que ta Grande Déesse ne serait rien d'autre que notre Grand Esprit ? »

Alyne haussa les épaules.

« Peu importe la dénomination que vous lui donnez. S'il s'agit d'un être créateur unique tout-puissant et bienveillant, nous discutons de la même entité, Celle que vénèrent les Voyageurs, comme la majorité des peuples de l'Univers. »

Une arche de pierre les attendait au sommet des marches, le passage qui les mènerait au Sanctuaire. Césape semblait pétrifié, comme s'il venait seulement de réaliser une vérité soudaine.

« Ça va ? » Demanda Galaniel.

Alyne s'approchait déjà de l'arche avec respect. Aucune lumière ne filtrait de l'autre côté, comme si un film invisible mais opaque la remplissait. Césape hocha la tête.

« Ça va. C'est juste que... que j'ai l'impression d'avoir enfin compris ce que je faisais ici. »

Il tourna la tête vers Galaniel.

« Je ne sais pas si c'est pareil sur ton monde, les légendes, je veux dire. Chez nous, il est question du Grand Esprit, résidant dans l'Éther. Et maintenant que j'y pense, il y a aussi des anges, à Ses côtés, qu'Il envoie parfois de par le monde, des esprits bienveillants que nous vénérons. C'est juste que... depuis le début, je n'ai jamais pensé que ça pourrait être ça, l'Éther. D'ailleurs, je n'y croyais qu'à moitié, à toutes ces légendes. J'ai tout pris à la rigolade parce que je ne savais pas ce qui m'arrivait, que j'avais l'impression d'être dans un rêve. Mais là, j'ai le trac. Pourquoi moi ?

— Si ça peut te rassurer, je me pose un peu la même question depuis le début. Mais nous n'aurions pas été choisis si nous ne le méritions pas, enfin, je crois.

— Je ne me sens pas l'âme d'un Archange. Je suis vantard, égocentrique, râleur, et j'ai l'impression de n'avoir vaincu ce dragon par un monstrueux coup de bol.

— Je suis sûr que tu en es digne. Dans le cas contraire, tu ne serais pas ici.

— C'est sympa de me dire ça. D'habitude, c'est moi qui m'auto-complimente. »

Il souffla pour évacuer son stress naissant.

« Bon, d'accord, on y va ; de toute façon, on n'a pas le choix. Et puis, ça ne se ferait pas de Le faire attendre. »