XI-4 : Le prix d'une victoire

155 21 41
                                    


Cénia, soixante-six jours après la mort du Général Chef

Troisième jour dans cette prison dorée. Le Prince ne parvient visiblement pas à statuer sur son sort, mais au moins lui permet-il maintenant de communiquer avec l'extérieur.

Néanmoins, les nouvelles sont maussades pour la Brocélie : son absence rend la situation de plus en plus tendue à Kystan. L'Amiral a même profité d'une accalmie sur le front sud afin de rejoindre la capitale en urgence, dans l'espoir de calmer les esprits. Quant au front kalendorien, il devient chaque jour plus critique. Le Commandant continue de pourchasser Esmène vers l'ouest, tandis que les Wienskrois menacent d'encercler l'armée rouge depuis le fleuve d'Aahrimbald.

Elle pénètre dans sa chambre, puis tire le loquet pour refermer la porte ouvragée. Les deux gardes bleus restent de l'autre côté, à leur poste, pour continuer d'assurer sa "sécurité". Octale a bien songé à s'échapper, mais peu de possibilités s'offrent à elle. Les fenêtres surplombent le fleuve de plusieurs étages. Elle pourrait plonger, nager jusqu'à une rive, mais que ferait-elle ensuite ? Il était peu probable d'échapper aux navires en patrouille, et encore moins aux gardes bleus dans leur propre capitale.

Pour l'instant, elle n'a donc d'autre choix que se résigner à cette cage dorée. Même en tant que geôlier officieux, le Prince lui fait au moins preuve d'une rare hospitalité. La pièce gigantesque s'orne de moulures dorées et de décorations de toutes sortes. La penderie déborde sous un choix invraisemblable de tenues, toutes plus resplendissantes les unes que les autres. Vers le fond s'étale même une piscine de marbre rose.

Elle marche jusqu'à une fenêtre ouverte, et s'imprègne un instant des senteurs vespérales. L'air est si calme et serein, ici ; difficile de penser qu'au nord Brocéliens et Kalendoriens se livrent une lutte féroce et sans merci. Une lutte qui tourne certes à son désavantage, pour l'instant, mais qui ne l'empêche pas de garder espoir. Rien n'est encore joué, et puis, comment imaginer Zagnar en tant que Général Chef ?

Elle se retourne, pour se diriger vers la piscine. Puisqu'elle ne peut rien faire d'autre, autant oublier ses tracas l'espace d'un instant. Elle effleure d'un doigt l'eau chaude et reposante, commence à défaire sa robe de velours brodée, s'arrête.

Mouvement à la fenêtre, transmis par l'éclat du miroir. Ce peut être rien, ce peut être tout. Elle se retourne. Seule la nuit pénètre la pièce par l'ouverture béante. Ses yeux cherchent une arme, une possibilité de défense ; la pièce en offre peu.

Le cœur battant, elle attend, immobile, prête à réagir. Une corde, qui glisse dans les ténèbres, le canon d'un fusil, annonciateur de la mort qui la guette.

Coups de feu, tirés en silence, qui traversent la pièce. Elle renverse une table, pour se précipiter derrière. Un homme pénètre par la fenêtre. Plutôt petit, entièrement revêtu de gris, le visage masqué. Sa main gauche effectue un mouvement ; la table s'envole pour s'écraser plus loin. Un autre mouvement du bras et Octale se retrouve soulevée de terre, plaquée contre un mur, presque incapable moindre mouvement.

Seul un garde muni d'un A.O.M. serait capable d'un tel exploit. Le Prince l'a donc finalement trahie. Soit il l'a livrée à Kalendor, soit il vient d'envoyer l'un de ses propres assassins.

L'homme pointe à nouveau son arme vers sa tête.

Ses doigts lancent une flasque, shampooing ou parfum quelconque, qui se trouvait sur la table avant qu'elle ne la renverse. Le flacon ouvert s'immobilise à mi-course, les gouttelettes de son contenu restent en suspension dans l'air avant de retomber.

La Prophétie du VoyageurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant