Confessions sur le tapis (Esther), réécrit

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- Trente-quatre, trente-cinq, trente-s...

J'essayais de compter le nombre de fleurs du papier peint décollé de notre chambre à Aria et moi quand cette dernière ouvrit la porte d'une telle force que j'en oubliais mon occupation première. Elle s'affala sur le tapis par terre et resta allongée ainsi pendant de longues secondes

- He! moins fort la prochaine fois, tu ne fais qu'ouvrir une porte!

- Esther! Laisse moi tranquille, s'il te plait je ne suis vraiment pas d'humeur.

- Pourquoi?

- Je... Non, rien.

Je connaissais suffisamment bien ma sœur pour savoir qu'elle ne me dira jamais ce qui lui arrive si j'insiste. Je me retourne donc vers le mur de la chambre et me remets à compter les fleurs.

Je sentais le regard d'Aria sur moi, probablement perplexe, face à cette façon très atypique de faire passer le temps.

- Ça ne t'ennuie pas?

Aria venait de prononcer ces mots. Je me tourne vers elle. Cette fois-ci, elle était assise en tailleur. Ses mains tenaient ses mollets et je pouvais voir à ses expressions faciales qu'elle se mordait l'intérieur de la joue, une mauvaise habitude qui l'a suit depuis son enfance.

- De ?

Une fois de plus, elle avait réussi à me déconcentrer.

- De compter je ne sais quoi sur le mur, dit-elle en m'indiquant le mur de son menton.

- Les murs ne parlent pas, il n'y a donc aucune chance qu'une dispute éclate.

Aria leva les yeux au ciel, puis laissa échapper un léger rire, qui disparut bien trop vite, laissant place à une mine déconfite.

Je m'assis par terre, face à elle, puis une fois nos regards concentrées l'une sur l'autre, je lui dis:

- Aria, qu'est ce qu'il y a?

-Je... Je ne sais pas, je ne me sens pas vraiment bien ces derniers temps. J'ai l'impression d'être inutile, de ne rien faire de mes journées.

- Aria, lui dis-je en prenant sa main et en la pressant un peu. C'est normal que tu ressentes tout ça. Mais il ne faut pas être impacter, ce n'est pas comme si tu avais le choix de faire autre chose.

- Et si ce cauchemar ne finissait jamais, Esther? Si on devait rester ici jusqu'à notre mort. Herr Markus ne pourra pas nous approvisionner toute sa vie, et puis...

- Stop, Aria, nous n'allons pas rester ici indéfiniment voyons, arrête de te mettre ces idées en tête.

Aria avait resserré son emprise sur ma main, au point ou je ressentais une légère pression sur mes os. Elle qui était si insouciante aux yeux de tous! Pourtant, je pense qu'il s'agit d'une des personnes avec le plus de doutes.

Elle se remit à mordiller l'intérieur de sa joue, ce qui laissait à la vue de tous une joue aspirée et des mouvements de mâchoires répétitifs.

Bientôt, c'était le coin de sa lèvre inférieure qu'elle mordillait.

- Aria, pense à tous les bons moments qu'on a passés ensemble. Même les mauvais d'ailleurs. Là où nous étions censés être, même le pire de nos moments ici serait une bénédiction.

J'essayais de convaincre ma sœur de se ressaisir. C'était une personne si positive et optimiste. Elle ne supporterait pas cette mentalité destructrice. Elle était bien trop forte pour se laisser abattre par des pensées sombres. Elle pouvait ressentir ce désespoir, mais je devais faire en sorte que ce soit passager. Si elle sombrait, j'avais bien peur de ne jamais pouvoir l'en sauver.

- Aria, parle moi de tout ce que tu as découvert ici.

Aria me jeta un regard perplexe, entre l'incompréhension et la moquerie. Elle ne devait probablement pas comprendre ce que je faisais, et moi non plus, je ne comprenais pas a vrai dire.

Je l'encourage du regard, en pressant légèrement sa main. Elle relâcha son emprise, démêla ses mèches brunes en passant ses doigts dans ses cheveux, puis s'allongea, les yeux rivés au plafond. Je pris place à côté d'elle. Notre plafond était envahi par d'énormes taches de moisissure. Cet endroit n'avait pas été utilisé pendant des années, j'en avais la certitude maintenant.

- Rien dans cette vie n'est acquis, dit Aria, venant briser le silence qui régnait dans la chambre. Nous ressentions peut-être à ce que nous étions avant, mais cela ne nous déranger pas plus que ça. Et puis, du jour au lendemain, nous sommes devenus des vermines, le cauchemar de tout bon aryen qui se respecte. Ne sommes nous pas allemands, nous aussi? Ils auraient pu nous expulser, nous dire d'aller voir ailleurs, si on voulait bien nous accueillir, si nous étions les bienvenus chez quelqu'un d'autre, mais non, ils décidèrent de nous tuer, pour être sûrs qu'aucun retour ne serait possible. On se mit à nous étiqueter avec cette grande étoile comme si nous étions dans une foire. Être juive est une fierté pour moi, c'est une force, et ils ont pu transformer cette force en une honte, un défaut presque.


Aria se tourna vers moi.

- J'ai honte de devoir me cacher Esther.

- Parle moi des bonnes choses que t'ont apporté ces années difficiles Aria.

Elle ricana, mais son rire n'était pas sincère. Elle se tut pendant de longues minutes. Elle cherchait probablement ses mots.

Puis, comme si de rien n'était, elle se mit à parler.

- J'ai découvert... la couture. Comment un simple bout d'étoffe pouvait embellir une personne, comment une ouverture ou une fermeture, comment un bouton bien placé sur un gilet, comment une simple fleur sur une jupe pouvait changer l'avis qu'on a sur un individu. J'ai découvert des gens forts, persévérants. Des gens qui croyaient en la vie, et se battaient pour vivre. Je ne sais pas si on peut appeler cela amour, mais j'ai découvert ce que ça fait d'avoir toujours l'impression d'etre stupide quand une certaine personne nous parle, les papillons dans le ventre, quand sa peau frole la mienne.

Aria prit appuie sur son coude, de sorte à avoir ses yeux dans les miens.

- J'ai découvert la fraternité, Esther. Malgré nos différences, nous nous aimons. Nous ne voyons tout simplement pas la vie de la même façon. 

1943 (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant