Les dernières larmes (Frantz) réécrit

1.7K 94 4
                                    

-Vos épaulettes penchent un peu.

C'était Marla, notre gouvernante qui venait de prononcer ces mots. Elle s'approcha de moi, et aligna mes épaulettes à la courbe de mes épaules. Elle recula ensuite de deux pas, comme pour avoir une vue générale de ce qu'elle venait de modifier puis sourit.

- Et dire que lorsque je vous ai connu, vous n'étiez pas plus haut que trois pommes. Regardez vous aujourd'hui! Un magnifique jeune homme, qui rallie sa force à celle de son pays, qui est prêt à se battre pour sa patrie. Je suis fière de vous comme je l'aurais été d'un fils. Vos parents aussi, le sont j'en suis persuadée.

-Marla...

Je détestais ce type de conversation. Marla est une très bonne personne, mais elle avait tendance à exprimer ses émotions avec un peu trop d'enthousiasme. Moi, je n'étais pas comme ça. A vrai dire, je suis ce que l'on peut appeler une personne pudique. L'étalage de la vie privée, ce n'est pas mon fort.

Je lui adressa tout de même un sourire, de peur de trop la vexer.

Marla est une dame petite et ronde, qui devait avoir environ la cinquantaine. Elle avait une coupe carré brune, et ses yeux faisaient penser à des noisettes, plein de malice et de joie. Elle portait toujours des pulls en maille, à n'importe quelle saison, et rappelait sans cesse à qui osait lui parler du climat qu'elle était une grande frileuse. Pourtant je voyais comme son visage devenait rouge par la chaleur dès qu'il faisait un peu plus chaud. Je voyais la sueur qui perlait sur ses tempes en août, quand même les animaux cherchaient un refuge contre les chaleurs étouffantes en extérieur.

Mais qu'est ce que je pourrais bien lui dire? "Tu mens, il ne fait pas froid et tu n'as pas froid alors enlève moi ces vêtements !" C'était impossible que je parle de la sorte. Et surtout pas à Marla! Elle était un membre de ma famille. Comme une grande tante que l'on adorerais car, chaque fois qu'elle nous verrai, elle glisserai dans notre poche une friandise, ou de quoi en acheter.

-Quelle fierté vous représentez mon enfant! Et dire, qu'il y a quelques années en arrière, je vous faisais encore couler des bains et vous nettoyer de la crasse qui était cimentée à votre peau après vos parties de ballon!

Elle arrangeait une fois de plus le col de mon uniforme, puis rajouta:

-Vous voilà prêt à servir votre nation maintenant! Un membre des Einsatzgruppen ici, sous ce toit! Quel honneur!

-Ou est père,lui demandai-je, impatient de voir la fierté dans ses yeux

Le visage de Marla eu l'air triste soudainement, et elle ouvrit les lèvres pour les refermer directement.

Il ne viendrait pas. Il ne venait jamais en réalité, ce n'était pas une nouveauté, mais j'espérais que cette fois-ci, je pourrais avoir une conversation avec lui, d'homme à homme. De personnes partageant les mêmes opinions politiques.

-Ce n'est rien Marla. J'ai pris l'habitude de ne pas le voir. Et puis dans tous les cas, s'il est absent c'est pour servir notre nation!

Un rictus plissa la lèvre de Marla, mais ce sourire forcé ne lui ressemblait pas, et rapidement, elle y mit fin.

Aucun mot ne sortit de sa bouche.

Dans tous les cas, que pouvait-elle bien dire? Si père n'était pas là, c'est parce qu'il avait dévoué toute sa vie au bon fonctionnement de notre patrie et au bien être de chaque allemand. Y aurait-il une cause plus noble à défendre? Je ne pense pas.

Après une énième caresse sur la joue de la part de Marla, elle recula, joignant ses mains devant elle, puis m'annonça qu'elle devrait se retirer sinon elle finirait par pleurer, et qu'elle savait combien je haïssais voir les gens pleurer.

Pour moi, pleurer était un signe non seulement de faiblesse, mais aussi et surtout de profond déshonneur pour les allemands que nous sommes. Des gens s'étaient battus avant nous pour permettre à ce pays d'être ce qu'il est aujourd'hui, et pleurer pour des sottises revient à ne pas respecter le combat de ces gens, qui jamais, même dans les moments les plus rudes ne laissèrent de larmes couler.

Et pourtant, comme tout le monde, j'avais déjà pleuré.

D'abord enfant, je pleurais si on m'interdisait de jouer au vélo ou si je tombais dans l'immense cour, rempli de caillasses, et que mon genou se retrouver en sang.

Puis la dernière fois qu'une larme coula de mes yeux fut lorsque j'avais douze ans.

Cette année-là, le 30 janvier 1933, notre Führer Adolf Hitler devint chancelier du Reich. Il gagna par la volonté du peuple. Mais cette année-là, ma vie a entièrement changé. Elle marqua l'achèvement de ma vie d'enfant. de mon innocence. A partir de cette année-là, je vis des choses que je ne croyais jamais avoir à vivre. Je me suis promis que plus jamais mes larmes ne couleront.

Après tout, je devais clôturer cette pratique enfantine par un grand événement. Quoi de mieux que celui qui a bouleversé votre vie?

1943 (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant