La journée parfaite (Esther) réécrit

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-Pensez-vous qu'un jour, nous aurons la possibilité de sortir librement? Je veux dire sans avoir à porter de vêtements ornées d'immenses étoiles ou en devant cachés qui nous sommes réellement?

C'était Monsieur Benjamin qui venait de poser cette question, tout en garnissant sa pipe de tabac. Il avait l'air tellement concentré dans son activité, que si on ne le voyait pas parler, il aurait était impossible de s'imaginer que cet homme, à cet instant précis abordés un sujet si sensible. Ici, nous avions pris l'habitude de ne pas parler de l'après-guerre, de ce qui se passerait dans le futur. Etant donné notre position, pouvons-nous seulement supposer qu'à une telle période, nous serions toujours vivants? Je ne pense personnellement pas que nous le serions. Certes, rien n'est écrit, mais les évènements actuels ne nous permettent pas d'envisager un futur en notre faveur. Un futur où nous serions tous vivants, à parler des jours passés ici. Ce n'est même pas envisageable!

Madame Sarah caressa la main de son époux.

-Je suis sûre qu'un jour, nous pourrions repartir nous asseoir sur les bancs du großer Tiergarten, dit-elle en se forçant à sourire, comme pour se convaincre elle-même.

Ses yeux se remplissaient de larmes, et elle dû reprendre sa respiration maintes fois pour ne pas pleurer. Madame Sarah était, malgré tous les défauts que je pouvais lui trouver, une dame extrêmement forte, qui ne laissera jamais une seule larme couler le long de sa joue. Jamais ses émotions ne prendront le dessus.

-Si nous pouvions sortir librement, pour une journée, qu'aimeriez-vous faire?

C'était Isaiah qui venait de poser cette question. Décidément, cette famille avait le don de poser des questions sur des situations impossibles.

Pourtant, nous prenons un malin plaisir à répondre à cette question.

Aria affirme que son désir le plus cher serait de manger un bon repas dans un restaurant près de notre ancien domicile. Elle irait ensuite dans une boutique de chaussures et elles changeraient celles qu"elles portent maintenant contre une nouvelle paire, à sa taille et non trop grande, et avec un cuir plus souple, qui ajouterait du confort à la paire. Père aimerait passer sa journée dans une barque sur un lac, à pêcher ou du moins faire semblant de savoir pêcher. Il emporterait le Kartoffelsalat de ma mère, ce qui lui arracha un sourire, et également un Apfelstrudel. Je dois avouer qu'un bon Apfelstrudel ne serait pas de refus. Ce délicieux gâteau est tellement gourmand (surtout quand je dose la cannelle pour ma mère car j'ai tendance à en mettre plus qu'il ne faut). Mère, quant à elle, souhaiterait passer sa journée dans notre ancienne maison. Elle pourrait bouger sans se soucier d'être vu, parler sans craindre que ce soit trop fort, manger sans avoir peur d'en prendre trop et d'en priver un autre, ou de restreindre nos quantités pour les jours futurs. Puis de temps à autres, elle irait faire un tour dehors, parler à la voisine ou simplement se dégourdir les jambes.

Messieurs Gunther et Willem quant à eux, aimeraient pouvoir passer une journée normale, dans leur boutique. Monsieur Willem irait en aide aux clients, ils partageront avec lui les derniers potins, leurs problèmes de couple et leurs réussites personnelles. Monsieur Gunther quant à lui serait derrière la caisse. Il offrirait des friandises aux enfants qui accompagnent leurs parents, permettant à leurs visages ennuyés de s'illuminer par de grands sourires.

-Moi, j'aimerais pouvoir revoir mes amies. Nous passerons l'après-midi ensemble dans mon ancienne chambre. Mère nous apporterait des gâteaux aux fruits et de la limonade. Mon amie Hélène m'aurait fait deux longues tresses, comme elle en avait l'habitude.

Voilà mon souhait le plus cher. Passer du temps avec mes amies. Après que les lois de Nuremberg aient été votées, cela devint relativement compliqué pour nous de profiter les unes des autres.
En effet, mes amies les plus proches n'étaient pas juives, et leurs parents leurs interdirent de me voir, afin d'éviter d'être mal vu. Mon cauchemar commença le 15 septembre 1935. A cette époque, je n'avais que dix ans. Et pourtant, ses souvenirs hantent mes nuits et je donnerai tout ce que je possède pour passer ne serait-ce qu'une seule journée avec elles. Mes amies. La vie avant 1935. Voilà mon souvenir le plus cher.

Madame Sarah se tourna vers son fils.

-Et toi mon chéri, que ferais-tu? Tu es bien silencieux depuis tout à l'heure.

Isaiah fit défiler son regard sur chacun de nous, avec une sorte d'insistance. Il cherchait à avoir l'attention de chacun.

-Si je n'avais qu'une journée, à vivre librement. C'est une question assez compliquée. Eh bien je pense que j'inviterais une fille à sortir avec moi. Nous irons au parc où mère m'emmenait plus jeune, et où elle avait l'habitude de se rendre avec père. Là, je sortirais une miche de pain, et nous la partagerions afin de nourrir les cygnes. Puis nous irons nous installer sur l'herbe, et nous mangerons un pique-nique. Nous finirons notre repas par des fraises et quelques carrés de chocolat. Je ne sais pas si je l'embrasserai après ce repas, mais en tout cas, les regards que nous aurions partagés tout au long de cette escapade auraient sûrement fait leur effet.

Tout au long de son discours, Isaiah ne m'avait pas lâché du regard.

Et Aria ne l'avait pas lâcher lui du regard.

1943 (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant