La marmite des bas-fonds

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Mordret, pour une obscure raison qu'il n'avait pas daigné expliquer, accorda l'après-midi suivante à sa serveuse fraîchement officialisée. Naola saisit l'occasion pour s'extirper du pub et s'improvisa une sortie dans les Halles Basses. Elle prit un certain plaisir à plonger dans l'effervescence du quartier. Ça criait, ça s'alpaguait, ça jouait aux cartes à même le sol, ça riait, ça s'engueulait... Même la rue du pub, pourtant détournée et peu passante, voyait s'écouler un flot régulier de badauds aux tenues éclectiques et aux gueules cassées.

Puisqu'elle avait un peu de temps libre, Naola décida de le mettre à profit pour dégotter une course ou un service en extra. Son hexoplan n'allait pas se financer tout seul.

Elle déambula de boutiques en échoppes, de vendeur à la sauvette en fritures grillées mangées sur le pouce, laissant traîner ses oreilles aux ragots et rumeurs des halles. On se plaignait du temps chaud et humide, on grondait contre les P.M.F. qui ne descendaient dans le quartier que pour accompagner les questeurs fédéraux, jamais pour défendre les habitants... Pas plus, d'ailleurs, qu'ils ne se bougeaient pour retrouver les adolescentes en fugue, songea ladite adolescente, avec une once d'amertume. Avec le recul, que la Vieille Naine puisse à ce point interférer dans les affaires de la police lui paraissait effrayant, et Naola n'était plus si persuadée que cela d'avoir fait le bon choix. Ses parents, après tout, avaient bien tenté de chercher à la recontacter, même maladroitement, par l'intermédiaire de Teija.

L'adolescente s'arrêta face à une devanture vitrée qui lui renvoya son image déformée par la courbure des carreaux. Elle dévisagea un instant ses traits, allongés par l'illusion d'optique, puis détourna le regard. Quelle bêtise d'avoir déchiré ce foutu courrier, rumina-t-elle. Elle reprit sa marche, les mains dans les poches, bien décidée à ne plus penser à sa situation familiale bancale. Elle avait des choses bien plus constructives à accomplir, comme trouver mille dens pour sa machine.

Par chance, l'un des clients de la Naine, un grand barbu qui tenait un bric-à-brac planqué au détour d'une venelle, lui confia un paquet en échange d'une dizaine de dens. Sa fortune ne s'accumulerait pas ainsi, mais il fallait bien commencer quelque part. Sa course la mena jusqu' à l'orée du quartier. Là où la couverture des toits cessait, la ville s'aérait et l'air recommençait à circuler. Son colis déposé dans le sixième bac à fleurs de la maison aux volets bleus, celle avec un perron de trois marches, dont la deuxième était fendue, et une porte grise avec un auvent en verre — le gars ne connaissait pas le numéro de rue — , Naola décida de faire un tour dans les faubourgs et, puisqu'elle ne se trouvait qu'à un pâté de maison de là, prit la direction de la boutique de l'antiquaire. Elle avait besoin de se poser et le sombre capharnaüm du sorcier lui offrirait peut-être un peu de fraîcheur si elle s'y réfugiait.

Elle ne fut pas mécontente de sentir le vent sec caresser ses bras nus. Les Halles Basses, en cette saison, c'était surtout un gigantesque sauna alimenté par la transpiration de toute une population, suant comme des bœufs à cause de l'accablant effet de serre des toits de verres et de tôles. Un cocktail aussi odorant n'avait de charme qu'à très petites doses.

La jeune fille découvrit Jérôme perché sur son bureau, dans une posture pour le moins incongrue. Son bras droit disparaissait presque intégralement dans le plan de travail, comme aspiré par ce dernier. L'antiquaire y avait plongé la main, jusqu'à l'épaule. Très concentré, il ne remarqua Naola qu'au bout de quelques instants. Il lui adressa alors un large sourire.

« Naola !

— Salut, je... je te dérange ?

— Non, pas du tout, tu tombes plutôt bien en fait, répondit le jeune homme en se grattant l'arrière du crâne. Pile à temps pour voler à mon secours ! »

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant