Bienvenue au Mordret's Pub

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Naola fit ses adieux à son refuge sous les combles et se rendit à l'adresse donnée par la Vieille Naine. Sa logeuse ne manifesta pas une vive émotion à son départ et la mit quasiment à la porte en lui assurant qu'elle se sentirait très bien au Mordret's Pub.

Nerveuse, la jeune fille s'immobilisa en face de la devanture de l'établissement. Le bâtiment faisait l'angle avec une ruelle étroite et sinistre. Il s'ouvrait d'une grande baie vitrée, obscurcie par un rideau sombre. Naola y déchiffra les mots « Mordret's Pub », calligraphiés dans une typographie grenat tellement abîmée qu'elle en devenait illisible. L'adolescente se tordit le cou vers l'arrière pour détailler le reste de la construction, tout aussi peu avenante que le rez-de-chaussée. Le revêtement de crépis gris agonisait, le mur entier donnait l'impression de peler et les briques rouges inspirèrent à la jeune fille l'image d'une bête écorchée, avec des croix noires et étroites tatouées en guise de fenêtres. Le dernier étage, comme ceux de toute la ruelle, se perdait dans la pénombre de la halle.

La verrière de la toiture, censée ouvrir le passage à la lumière, était encrassée d'algues vertes et de taches sombres. Des plaques en métal rouillées complétaient le patchwork des carreaux cassés. L'endroit aurait été plus lugubre encore s'il n'avait manqué certaines vitres au couvre-chef rapiécé. En cas de pluie, la voie d'eau devait tenir de la cascade, mais par le soleil matinal et déjà brûlant de l'été, l'apport de lumière sauvait la venelle de l'obscurité.

Naola, refroidie par l'aspect peu engageant de l'édifice, resta pantoise devant la porte en bois qui faisait office d'entrée. L'ouvrage, mêlant une essence sombre à des ferronneries noires aux motifs abstraits mais néanmoins agressifs, était tout à fait remarquable, bien qu'il semblât plus apte à effrayer les passants qu'à inviter des clients à s'aventurer là. L'adolescente se demanda si le bar n'était pas tout bonnement fermé.

Dans l'effervescence matinale, les gargotes des rues alentour regorgeaient de travailleurs attablés pour boire un café ou grignoter un bout avant d'entamer leur journée. Garder porte close à une heure si cruciale relevait d'un manque flagrant d'opportunisme. Naola songea qu'elle s'abstiendrait d'en faire la remarque durant l'entretien d'embauche. Inutile de critiquer les choix patronaux avant même d'avoir mis un pied dans la boutique.

La jeune fille prit une inspiration, pour se détendre. Elle jouait là sa dernière carte. Sans ce job, il lui faudrait se résigner à une autre solution. Rentrer chez elle n'était toujours pas une option. Elle trouverait une nouvelle ville où s'installer, même si cela signifiait partir un peu plus encore vers l'inconnu. Sur ces réflexions, elle poussa enfin la porte peu avenante du Mordret's Pub et entra dans le bar.

La grande pièce aux nombreuses voûtes soutenues par une imposante charpente était, sans surprise, sombre et déserte. Qui, de toute façon, aurait voulu payer pour prendre son petit déjeuner dans une ambiance aussi sinistre ? Qu'est-ce qu'elle foutait là... Les lourds rideaux laissaient passer quelques rais de lumière, Naola plissa les yeux pour s'accoutumer à la faible clarté. Un important comptoir occupait presque tout le mur du fond. Dans la salle, des tables en fer forgé étaient éparpillées un peu partout.

Le plancher grinça sous les pas de Naola. Elle sursauta une première fois à cause du bruit, une deuxième fois en apercevant sa propre ombre se refléter vaguement dans le zinc et une troisième fois quand, dans un mouvement de recul paniqué, elle heurta le dossier d'une chaise.

« Vous désirez, mademoiselle ? »

La jeune fille, qui n'en était plus à un sursaut près, rattrapa le siège avant qu'il ne s'étale au sol, puis porta son attention vers l'homme qui venait de parler. Il l'observait, adossé dans le coin le plus éloigné de la salle. Il la dominait d'au moins une tête. Ses habits sombres, d'un autre temps, contrastaient avec ses cheveux d'une étonnante couleur grise, presque blanche. Il les portait longs et noués sur la nuque. Une coiffure qui ajoutait à son anachronisme.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant