Not This Time [Sous contrat d'édition]

Prologue

Les chapitres Wattpad ne sont pas corrigés !

♫ The Adventure – Angels & Airwaves

Ella

Un an, trois mois, et six jours plus tôt,

En pleurs dans les toilettes des filles, j'essore mes cheveux au-dessus d'un lavabo. Carly Jenson a vidé une carafe sur moi à la cantine. Je suppose que cette fois je peux m'estimer heureuse, ce n'était que de l'eau. Il y a une semaine, c'était son plat de chili corn carne. Mes vêtements sont partis à la poubelle le soir même.

Je relève les yeux et, dépassée par ma colère, je frappe le reflet que me renvoie le miroir. Un gémissement m'échappe tandis que je ramène mon poing douloureux contre moi. Je me déteste, je déteste la fille que je vois dans la glace chaque jour qui passe. Comment est‑il possible d'arriver à ce point, celui où on ne peut plus se supporter soi-même ?

Mes dents libèrent ma lèvre inférieure et le goût ferreux du sang envahit ma bouche. Je ne peux pas continuer comme ça. Si je le fais, je vais finir par me perdre. Je ne me reconnais déjà plus. Cette fille au visage rond, enfantin, ravagé par la douleur et la tristesse, ce n'est pas moi. J'ai seulement quinze ans, je ne suis pas supposée ressembler à ça. Ma vie n'est pas supposée ressembler à ça. Je dois partir d'ici. Je n'ai pas le choix. Je ne l'ai plus. J'ai enduré leurs brimades trop longtemps.

Ma décision prise, je sors des toilettes en courant. Dans les couloirs, je tente d'ignorer les regards et sourires méprisants des autres élèves, en vain. Les rires de mes camarades résonnent à mes oreilles, alors même que je m'éloigne du lycée, et je crois que c'est ça, le plus dur à encaisser et oublier. J'ai désormais l'impression qu'ils me suivront partout où j'irai.

Vite essoufflée, au bout de quelques mètres à peine à cause de mon surpoids, je puise dans mes dernières forces et ne m'arrête pas. Ça leur ferait trop plaisir de constater de leurs propres yeux mon manque d'endurance.

J'arrive chez moi le souffle court et la poitrine douloureuse. De rage, je claque la porte. Je vais supplier mes parents de me changer de lycée ou de me laisser étudier à la maison. Voir mes camarades me haïr, me dénigrer, m'insulter, je ne peux plus le supporter. Ma mère comprendra. Il le faut !

J'essuie mes joues au moment où elle arrive dans l'entrée, les yeux tout aussi rouges et gonflés que les miens. Elle sait. Elle sait que papa la trompe depuis des mois, voire plus. Un soulagement étrange s'empare de moi. À partir de maintenant, je n'aurai plus à garder ce secret. Je ne veux pas qu'elle soit triste ou que mes parents se séparent, mais savoir, devoir lui mentir, ça commençait à me bouffer de l'intérieur. Et peut-être n'y avait-il pas d'autre échappatoire ? Le destin de notre famille est d'exploser.

Malgré sa peine évidente, ma mère redresse le menton, essaie de se montrer forte pour moi. J'ouvre la bouche, prête à m'excuser pour tout, quand je remarque deux valises noires posées devant l'escalier en chêne. Deux valises aux allures de coup de massue. Elle ne peut pas partir !

La respiration sifflante, je m'appuie contre la porte d'entrée pour ne pas m'effondrer comme le reste de ma vie est en train de le faire.

— Tu rentres tôt. Tout va bien ?

Sa voix me ramène à la réalité. Elle s'approche, passe sa main sur mes cheveux humides, et je sens ma lèvre inférieure trembler alors que je me retiens de pleurer, de tout lui avouer sur-le-champ, de la supplier de rester.

— Tu t'en vas ? demandé-je, proche du désespoir.

Elle ne peut pas me laisser avec mon père, ça ne peut pas arriver. Elle secoue la tête. Soulagée, je soupire.

— On s'en va ! me répond-elle avec colère.

De surprise, mes yeux s'ouvrent en grand.

— Quoi ? Pourquoi ?

— Parce qu'on en a toutes les deux besoin.

Sous le choc de ses mots, je ne réponds rien tandis qu'elle m'observe d'un regard déterminé. Et puis un poids s'envole de mes épaules lorsque je comprends finalement ce qu'ils signifient. Mes doigts tremblants attrapent l'une des deux valises. Rien ni personne ne me retient ici.

— OK. Allons-y ! s'exclame-t-elle.

Et c'est ce que nous avons fait, nous sommes parties, parce qu'en fin de compte, fuir, c'est ce que je sais faire de mieux.