Chapitre 10

577 84 2
                                    

Je me réveille en sursaut. Thalia est en train de me secouer les épaules et je n'entends qu'un flot incompréhensible de paroles qui sortent de sa bouche. Mon cerveau n'est pas encore assez éveillé pour comprendre ce qu'elle me veut. Je préfère l'ignorer et me diriger rapidement vers les toilettes.

Après m'être aspergé le visage d'eau, j'observe mon reflet dans le miroir. Je remarque les cernes bleus qui prennent place sous mes yeux et me dis qu'il n'aurait peut-être pas fallu que je sacrifie des heures de sommeil au profit du spectacle de feux d'artifice. Eh bien, on ne dira pas que je ne l'ai pas cherché. Je continue ma routine en prenant une douche revigorante et en mettant mon uniforme de manière machinale.

Je me rends compte, en sortant de la salle de bain, que la plupart des filles sont déjà parties manger. Sans plus tarder, je pars les rejoindre et j'engouffre avec vitesse les plats qui sont à ma portée. Je n'attends pas que les autres quittent la table et je marche d'un pas rapide vers un couloir en particulier. Cette fois-ci, je suis bien déterminée à connaître l'identité de l'occupant de la chambre 102. Toutefois, je rencontre Madame Fersteg et mon élan de fébrilité est de courte durée:

«Jeune fille! Les pensionnaires ne sont pas censées être dans cette aile à l'heure qu'il est.

- Mais...

- Pas de mais. N'as-tu pas une leçon qui débute prochainement? Allez, ouste!»

Meilleure chance la prochaine fois. Celle-ci ne devrait pas tarder, car je compte tenter une autre visite dès ce soir. Je n'ai plus qu'à garder mon mal en patience et à vaquer à mes occupations habituelles. Je rejoins aussitôt Daëlle et Thalia tout en souhaitant que les heures s'écoulent au plus vite.

               *******

Onze heures pile. C'est maintenant le temps pour moi d'entamer ma promenade nocturne. Tout comme hier, je sors discrètement de ma chambre et parviens à rejoindre le couloir principal. Je réussis à me faufiler jusqu'à la chambre 102 sans me faire repérer et tente d'ouvrir la porte. Encore verrouillée. Il n'est pas question de renoncer et de retourner dormir. Tout comme avec le cadenas de la grille, je déverrouille avec aise la serrure et me glisse furtivement dans la pièce.

La scène qui se présente devant moi est tout sauf ce à quoi je m'attendais. Au lieu d'avoir affaire à une personne endormie, je vois un garçon me regarder fixement à partir de son lit. Garçon n'est peut-être pas le terme convenable. Je dirais plutôt, jeune homme. En vérité, j'ai l'impression qu'il a quelques années de plus que moi. Ses yeux verts sont la première chose attirant mon regard et ceux-ci m'ont l'air d'être empreints de tristesse. Sans pour autant être maigre, il est facile de constater qu'il a perdu plusieurs kilos depuis le début de la guerre. De la sueur perle sur son front et ses cheveux blonds lui collent au front.

Pendant que je procède à cette analyse rapide, ses yeux continuent de me dévisager. Il ne dit pas un seul mot et attend probablement que je prenne la parole. Étant donné que je ne suis pas capable de prononcer un seul mot, il entame la conversation:

«Il est onze heures. Qu'est-ce que tu fais ici?

- Je ne sais pas trop... J'ai entendu des râlements les nuits d'avant et j'avais envie d'en voir la source. Moi, je m'appelle Sedna.

- Tu es une infirmière?

- Plutôt une apprentie. Dès que ma formation sera terminée, on va probablement m'envoyer près des lignes de front. Je vois que tu n'as pas été épargné par la guerre. Ça te dirait de m'expliquer ce qui t'est arrivé?

- C'est assez simple; j'étais un éclaireur dans la 5e brigade d'infanterie de Firtis et je me suis fait surprendre dans un boisé pas très loin des lignes ennemies. J'ai été laissé pour mort et ce n'est que quelques heures plus tard que j'ai été retrouvé par mon groupe. Depuis, je suis ici, à l'hôpital, dans l'espoir de retourner au front.»

J'arrête momentanément notre conversation et fais le tour de sa chambre. Je remarque qu'il n'y a aucun objet personnel lui appartenant et qu'il n'y a qu'une seule petite table dans la pièce.

«N'as-tu pas apporté un seul souvenir de ta famille?»

En guise de réponse, j'ai droit à un regard vitreux. Pendant plusieurs minutes, il regarde le mur devant lui. Après une brève hésitation, il se tourne de nouveau vers moi:

«Je n'ai pas de famille. J'ai passé toute mon enfance dans un orphelinat pour ensuite m'engager dans l'armée dès que j'en avais l'âge.»

Je n'ose pas lui dire que, moi aussi, je n'ai plus vraiment de parents. Je ne le connais pas assez pour pouvoir me confier à lui.

Nous changeons de sujet et continuons à parler sans arrêt de nos vies. Nous ne voyons pas le temps passer et ce n'est que lorsque je regarde l'heure affichée sur un mur que je réalise à quel point il est tard. Deux heures du matin. Je ne sais même pas comment je vais réussir à me lever demain matin, ou plutôt, ce matin, étant donné qu'il est dépassé minuit. Sans plus tarder, je lui dis au revoir et je quitte la pièce.

Une fois dans mon lit, je m'aperçois que j'ai oublié de lui demander son nom. Tant pis. De toute façon, je compte bien aller le revoir dans les jours prochains. Si cela n'est pas durant le jour, j'irai encore dans sa chambre en douce la nuit. J'ai maintenant un nouvel ami et je ne compte pas m'en séparer.


————————————————————
Merci à tous pour votre patience! Je suis désolée de l'attente, mais je suis très occupée ces temps-ci par mes examens et mon travail de recherche. N'hésitez pas à me faire part de vos opinions!


Sedna [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant