Chapitre 1

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Je déteste l'eau. Ne pas sentir le sol sous mes pieds me donne l'impression que je vais me noyer à tout moment. L'ironie, c'est que mes parents ont décidé de m'appeler Sedna, en l'honneur d'une déesse aquatique.

Mes parents. Cela fait dix-huit ans que je ne les ai pas vus et pourtant, j'ai le sentiment qu'ils sont toujours à mes côtés. Ils ont décidé qu'il valait mieux pour moi de ne pas rester avec eux et de me laisser en compagnie d'Ygrid et de Gafael, deux amis de la famille. Ce sont eux qui m'ont élevée et ont fait de moi la personne que je suis aujourd'hui.

J'ai toujours su que j'étais différente des autres enfants. Avoir les cheveux bruns, blonds, noirs ou même roux, est signe de normalité. Être née avec une chevelure blanche, par contre, ne l'est pas. Non, je n'ai pas de maladie génétique ou de vieillissement prématuré. Il n'y a que les Autres qui ont cette même caractéristique. Ces derniers ne sont pas de vulgaires bêtes de scène ou des vieux sages à la peau craquelée. Leur nom provient du fait qu'ils possèdent ce pourquoi bien des guerres ont débuté: le pouvoir. Pas le pouvoir de contrôler les gens ou de faire valoir leurs décisions mais plutôt, celui de déplacer des objets ou de toucher ceux-ci pour en connaître l'histoire.

Depuis la nuit des temps, la population voyait en eux des gens pacifiques qui ne rêvaient que de se fondre dans la masse et utiliser leur don pour faire le Bien. Toutefois, suite à l'arrivée du nouveau gouvernement, ils devinrent persécutés, du fait que le Président croyait que ces gens finiraient par profiter de leurs capacités pour régner sur la nation. Ils étaient donc une menace pour tous. Les premières idées face à ce «problème» se dirigeaient vers un exil permanent des Autres mais il fut évident que celui-ci serait très difficile à concrétiser. Une autre solution plus radicale prit la place et fut acceptée à très forte majorité par le Conseil de la Nation.

Lors de la Grande Frappe, le gouvernement décida d'engager des chasseurs de prime pour purifier le peuple et enlever toute menace potentielle. Tous ceux et celles ayant besoin d'argent étaient aussi invités à participer au carnage en échange de quelques pièces. Les gens savaient ce qui se passait, mais préféraient garder le silence pour ne pas être les prochains sur la liste. Il ne servait à rien de lutter, car que faire lorsque l'on se retrouve face à une cinquantaine de soldats armés jusqu'aux dents, prêts à nous descendre à tout moment? Selon certains, un pour cent de la population faisait partie des Autres, soit cinq-cent-mille personnes. Pour ne pas être dévoilés au grand jour, certains tentèrent d'acheter de la teinture. Au fil du temps, celle-ci atteignit un prix exorbitant au marché noir. Toutefois, cela ne fut pas suffisant et leur nombre diminua à trois-mille en l'espace de seulement quatre ans. Au fur et à mesure que les années passèrent, la plupart des survivants de cette attaque, une vingtaine au final, ont préféré l'exil à une mort quasi certaine.

Cela fait maintenant cent-vingt ans que la deuxième Frappe a débuté et plus personne n'a vu ou entendu parler des Autres. Certaines personnes âgées aiment bien raconter des histoires qu'ils tiennent eux-mêmes de leurs grands-parents, sur leur grand pouvoir et l'usage qu'ils en faisaient. Lorsque mes parents vinrent me porter chez Ygrid et Gafael tout de suite après ma naissance, ils eurent la surprise de constater que j'avais des cheveux blancs. Sans trop poser de questions, ils m'accueillirent chez eux comme l'enfant qu'ils avaient toujours souhaité avoir. Ce n'est que durant mon adolescence qu'Ygrid m'a raconté avoir crû que ma mère était une Autre, du fait qu'elle se teignait toujours les cheveux.

Depuis l'élimination des miens, il est beaucoup plus facile d'avoir accès à de la teinture parce que plus personne ne porte de soupçons sur qui que ce soit. Les gens du village ont la certitude que je suis une brunette aux yeux bleus. Ne pas savoir où sont mes parents m'emplit d'une anxiété constante. J'espère qu'ils sont partis très loin d'ici et mènent une vie heureuse. Il m'est impossible de les imaginer morts et c'est pourquoi je préfère garder espoir. L'espoir est ce qui permet à une personne de cheminer sans parfois faire face à la dure réalité.

Sedna [en pause]Where stories live. Discover now