Chapitre 6

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Le temps passe si vite que le jour fatidique est déjà arrivé. Pourtant, je n'ai rien fait de particulier entre-temps, mis à part préparer mes valises et côtoyer mes proches. Ceux-ci m'accompagnent jusqu'au centre communautaire et me prennent dans leurs bras en attendant l'arrivée du bus. Sans verser de larmes, j'ai la gorge nouée et je ressens un léger pincement au cœur. Je ne sais pas quand sera la prochaine fois où je serai en mesure de revenir ici. Il est difficile de prédire l'avenir en ces temps incertains. Je me dis que si j'ai de la chance, je serai revenue à la maison d'ici quelques mois.

Comme prévu, j'apporte avec moi plusieurs sachets de teinture. Toutefois, je sais très bien que cela ne sera pas suffisant et qu'il faudra me réapprovisionner lorsque mes réserves seront épuisées. Ceci s'ajoute à la longue liste de tout ce qui pourrait s'avérer être une source de stress pour moi. Je dois déjà faire attention à ce que personne ne découvre mes aptitudes, encore faut-il que je n'aie pas non plus de crises de somnambulisme les prochaines nuits!

Le bruit de pneus qui crissent sur l'asphalte me sort de ma rêverie. Ygrid me serre dans ses bras et me chuchote ses adieux à l'oreille. Gafael me tapote l'épaule et me dit que tout va aller pour le mieux. Mes deux amies ne restent pas à l'écart et me font des câlins. Je leur dis que ce n'est qu'une question de temps avant que nous nous voyons de nouveau. Alors que je prends mes valises et monte dans le bus, je tourne ma tête une dernière fois vers les deux personnes qui m'ont élevée:

«Merci, Maman et Papa.»

Je n'attends pas de voir leur réaction et je vais m'asseoir dans un des bancs à l'arrière. Je remarque qu'il y a environ une vingtaine de filles dans le bus. Certaines ont mon âge tandis que d'autres doivent approcher la trentaine.

Lorsque le véhicule se met en mouvement, j'ose toutefois regarder par la fenêtre et faire un dernier salut de la main. Sans plus attendre, je sors un livre de mon sac à dos et j'entame aussitôt la lecture du premier chapitre.

Le trajet étant très long, la lecture laisse place à une longue sieste. Je ne me réveille de ma torpeur qu'au moment où une personne anonyme me secoue le bras et me dit que nous sommes arrivées. Je prends mes bagages et fais la file afin de sortir du bus. Je peux enfin jeter un premier coup d'oeil à Vertis. Pour l'instant, je n'aperçois qu'une cour aménagée et remplie de verdure. De nombreuses personnes sont présentes et attendent que tous les gens soient sortis afin de débuter les présentations. Une vieille femme au dos voûté s'avance vers notre groupe et prend la parole:

«Bienvenue, mesdemoiselles, à l'Hôpital général de Vertis. Je suis la directrice de cet établissement, Madame Fersteg. Pour commencer, je vous prie de me suivre afin de faire la visite des lieux. Le calme est de mise et si jamais vous avez la moindre question, n'hésitez pas à m'en informer.»

Nous suivons de façon silencieuse Madame Fersteg et nous dirigeons vers de grandes portes en acajou massif. À l'intérieur se trouve un grand hall où des bureaux administratifs s'entassent presque les uns sur les autres. De nombreuses personnes courent dans tous les sens et l'on peut déjà constater l'agitation qui y règne.

Sans plus tarder, nous poursuivons notre chemin à travers cette cohue et marchons de corridors en corridors. Nous sommes en mesure d'apercevoir les cuisines et les différentes ailes de l'hôpital. Finalement, nous sommes emmenées dans une suite de pièces qui nous serviront de chambres à coucher. Étant donné que nous ne serons que temporairement ici, nous sommes logées et nourries aux frais du gouvernement le temps de compléter notre formation. Il est évident que cet aménagement s'est fait à la dernière minute étant donné que l'hôpital n'a pas l'habitude d'accueillir un si grand nombre de pensionnaires.

Madame Fersteg, qui se situe à l'entrée du dortoir, nous dicte ses instructions finales:

«Vous trouverez sur chaque lit trois exemplaires de l'uniforme que vous devrez porter en tout temps. Changez-vous tout de suite et venez me rejoindre le plus rapidement possible à la salle à manger.»

Avant même qu'elle finisse son discours, je marche rapidement vers l'endroit le plus reculé, qui s'avère être un coin moins éclairé de la pièce où je me situe. Je remarque qu'une autre fille, d'au moins deux ans mon aînée, me suit silencieusement et va s'installer dans le lit voisin. Je n'ose pas lui adresser la parole et je change de vêtements le plus rapidement possible. Elle me dévisage longuement jusqu'au moment où je quitte la pièce.

Je retrouve facilement mon chemin et lorsque j'arrive en face des tables à manger, je m'assieds sur une chaise et attends patiemment l'arrivée de toutes les autres filles. Ma nouvelle voisine de chambre arrive quelques minutes après et s'installe directement en face de moi. Je m'attends à ce qu'elle m'adresse la parole mais il n'en est rien. Je prends mon courage à deux mains et j'essaie d'initier un semblant de conversation:

«Bonjour, moi c'est Sedna. Comment t'appelles-tu?»

Pour seule réponse, je reçois un hochement de la tête de la part de cette fille. J'aurai au moins essayé. Étant donné que que je peux pas mettre de nom à sa figure, je décide de l'appeler «La Voisine». Elle n'est peut-être que gênée ; après tout, nous n'en sommes qu'à notre première journée ici.

Des cuisiniers et cuisinières s'approchent de ma table avec différents plats dans les mains. Ceux-ci sont déposés en plein centre afin que l'on s'y serve. Soupe aux légumes, poulet, purée de pommes de terre... Nous sommes nourries à volonté! Je prends des bouchées de chaque mets jusqu'au moment où je n'en peux plus.

Lorsque tout le monde a terminé son repas, nous pouvons nous promener un peu partout dans l'hôpital. Pour ma part, je décide d'aller faire un tour dans l'aile des blessés.

À mon arrivée, j'aperçois une infirmière en train de prendre la température d'un patient. Seulement quelques murmures me parviennent aux oreilles et l'endroit est, somme toute, silencieux. Du moins, plus silencieux que les bureaux administratifs. À première vue, il est évident que nous sommes en début de guerre parce que tous les lits sont occupés et plusieurs ont été rajoutés au moindre espace disponible. Je continue à marcher dans un couloir et j'entends soudainement des râles provenir d'une pièce que je viens de dépasser. 

Au moment où je tourne à droite afin d'emprunter un nouveau couloir, je fonce tête première sur Madame Fersteg. Celle-ci s'arrête brusquement et me regarde d'un air sévère:

«Qu'est-ce que tu fais ici? Retourne voir les autres et arrête de fouiner partout.»

On dirait bien que ma visite des lieux s'achève à cet instant. Étant donné qu'il commence à se faire tard, je prends la sage décision de lui obéir et de me diriger vers les dortoirs. J'espère que la journée de demain sera à mes attentes.


Sedna [en pause]Where stories live. Discover now