Chapitre 2

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 Ici, en Bastoria, les étés sont très longs et il y a peu de neige en hiver. Sipars se fond dans le paysage campagnard environnant et une grande partie de la population pratique l'agriculture. On raconte que nos terres sont désormais très fertiles du fait que nos ancêtres ont utilisé les cendres des Autres comme engrais dans les champs pendant des années. Un frisson me parcourt le dos à chaque fois que j'y pense. Une forêt s'y dresse à l'est et est traversée par une rivière longue et sinueuse. Durant la nuit, rares sont ceux qui osent aller se promener. Pour ma part, me réfugier dans une des grottes avoisinantes me permet de trouver la solitude désirée et de tester mes capacités qui frôlent l'irréel. À cet endroit, je n'ai plus besoin de faire semblant que tout va pour le mieux et je peux enfin laisser tomber les apparences l'espace de quelques instants. Il m'arrive d'amener une couverture et d'observer les étoiles à partir de l'entrée de la grotte.

 Aujourd'hui, alors que je me suis réfugiée à cet endroit afin de dormir quelques heures, Jogan, le jeune fils du boulanger et un habitué de la forêt, s'approche de moi:

«Sedna, tu viens souvent ici pour dormir sur de la roche. Cela ne serait-il pas plus confortable dans ton lit?»

 Je préfère ne pas lui dire, mais, lorsque je suis chez moi, j'ai de la difficulté à oublier mes problèmes l'espace de quelques minutes. Je ne peux que me concentrer sur ma propre respiration. Les étoiles, dans le ciel, sont magnifiques à observer. Contrairement aux gens, elles sont silencieuses et ne font que briller dans le ciel. En les regardant, nous voyons le passé; la lumière qu'elles émettent prend du temps à parvenir à notre planète. Ce que nous observons est l'état dans lequel elles étaient il y a plus de quatre, cent ou même dix-mille ans. Elles sont peut-être déjà mortes à l'heure qu'il est, tout comme mes parents. Je ne sais pas ce qu'il est advenu d'eux. Ma réponse est brève et est une représentation plus ou moins fidèle de la réalité:

«J'aime le calme de la nuit et le bruit du vent sur les feuilles.

-Pourquoi?

-Ça me permet de faire de jolis rêves.

-Quel genre de rêves?

-Tu devrais arrêter de poser des questions et retourner à ta maison. Il serait dommage que tu sois fatigué le jour de la fête de la Litha.»

 Une fois Jogan hors de ma vue, je continuai à fixer les astres. Andromède, Cassiopée, Persée; pour certains, elles ne sont que de simples constellations alors que se cache une histoire derrière chacune d'entre elles. Ce n'est qu'après une longue contemplation que la réalité me frappa de plein fouet. Il se faisait tard et je devais moi aussi retourner dans le confort de mon lit. La marche du retour fut agréable et la lune était assez brillante dans le ciel pour me permettre de rebrousser chemin rapidement.

 Il y a de ces nuits où je dors d'un sommeil sans rêves. Cela n'arrive que très rarement, car je me réveille souvent de façon abrupte et des frissons me parcourent le dos. Cette fois-ci, je me sens davantage reposée et prête à aller de l'avant. Ce n'est pas à tous les jours que l'on peut célébrer l'arrivée de l'été et le retour des jours ensoleillés. La grande majorité des habitants des environs arrêtent de travailler pour une journée et préparent un grand feu de joie qui se tient au courant de la soirée. La tradition est que tous les adultes aillent dans les bois et coupent quelques branches afin d'aider à sa réalisation. Étant nouvellement majeure, j'ai maintenant le droit d'apporter ma contribution personnelle à l'évènement.

 Le soir venu, j'attends avec impatience l'arrivée de Gafael à la maison. Ygrid et moi sommes prêtes à partir et trépignons d'impatience. Afin que les secondes s'écoulent plus rapidement, elle me décrit le spectacle lumineux que j'aurai très bientôt sous les yeux. Je m'imagine déjà les centaines de lanternes qui brilleront dans les arbres. Pendant un long moment, je ne pense plus à rien d'autre et mon regard se perd dans le vide. Je vois une multitude de couleurs se fondre les unes avec les autres et qui se mettent à tourbillonner comme dans un kaléidoscope. Un vague sentiment de bonheur m'emplit de tout mon être et un sourire apparaît sur ma bouche. Ce n'est que lorsque j'entends le bruit d'une porte qui se referme que je prends conscience de ce qui se passe autour de moi. Gafael avait enlevé ses souliers et était parti changer ses vêtements. Quelques minutes plus tard, il revient à la porte d'entrée et est fin prêt à partir en notre compagnie.

 Une fois à l'extérieur de la maison, nous ne marchons qu'une centaine de mètres avant de pouvoir rejoindre le sentier qui mène à la forêt. À cette distance, il est déjà possible d'observer la lueur des lanternes. N'en pouvant plus de marcher à un rythme qui me paraît un peu trop lent, je décide d'augmenter la vitesse de mes pas lorsque des rires me sont perceptibles. 

 Une fois sur place, ce que j'avais essayé d'imaginer à la maison est tout sauf ce que j'ai sous les yeux; l'intensité lumineuse des lanternes est si grande que l'on a presque l'impression d'être en plein jour. Mon regard se porte immédiatement sur deux de mes amies, Etha et Sibarae. Amies n'est peut-être pas le choix de mot idéal. Je dirais plutôt... camarades ou connaissances. En dehors des heures de cours, il m'arrive de les croiser au marché et d'entamer une brève discussion avec elles. Rien d'une grande importance, seulement quelques rumeurs banales qui circulent autour de certains villageois. Elles ne savent pas grand chose sur ma vie privée et je ne cherche pas non plus à les connaître davantage. Ceci nous convient très bien et c'est de cette façon que nous entretenons notre semblant de relation.

 Ne sachant pas quoi faire de mon temps libre dans les bois, je décide de me joindre à elles en m'éloignant de mes parents adoptifs. Ces derniers ne sont pas prêts de s'ennuyer, car je les aperçois se diriger vers un autre groupe d'adultes. Tous les gens présents se dirigent ensuite vers un tas de haches fournies par le magasin général afin de commencer la coupe des branches. J'hésite avant d'utiliser ma hache pour la première fois et je préfère regarder d'autres personnes plus expérimentées passer à l'acte.

 Après plusieurs minutes d'observation, il m'apparaît évident que la tâche ne sera pas si ardue que ce que je croyais. L'outil dans ma main, je m'éloigne un peu de mon groupe et me mets à la recherche de la branche parfaite. Cela ne dure qu'une fraction de seconde parce qu'il y en a une qui se situe à côté d'une lanterne jaune. La couper avec la hache s'avère une tâche facile et je dois alors la sectionner en plus petites parties pour le feu.

 Lorsque la tâche est accomplie, je regarde autour de moi et constate que je me suis éloignée bien plus que ce que je croyais. Après avoir vérifié qu'il n'y avait personne proche de moi, je décide d'utiliser mon don et de faire voler la lanterne. Celle-ci flotte pendant un certain moment devant moi et je profite de cette occasion en l'attrapant. C'est à cet instant que je me rends compte que de minuscules lucioles y sont emprisonnées et se promènent librement à l'intérieur de cette dernière. Étant donné que je ne souhaite pas que les autres se demandent où je suis, je vais ensuite porter les branches vers un amas créé par d'autres villageois. Je retourne voir Etha et Sibarae afin de me préparer au début des festivités:

«Etha, vas-tu chanter une chanson? Tu ne peux pas cacher éternellement ton talent pour le chant.

-Non, je n'ai pas encore le courage de chanter devant un groupe.

-On aura peut-être cette chance l'an prochain, lui répondis-je.

-Toi non plus, tu ne participeras pas au spectacle. Sibarae, elle, va faire une démonstration de jonglerie.»

 Chaque année, la Litha rassemble tous les gens du village, des petits aux grands. Les personnes ayant un talent spécial ont même la chance de se produire autour du feu. Comme à toutes les autres années, il se situe dans une clairière au beau milieu de la forêt. Même si je ne sais pas jongler, danser ou chanter, je prends un malin plaisir à observer Sibarae effectuer de difficiles mouvements avec ses poïs enflammés. Certains enfants se tiennent les mains et s'amusent à tourner en rond tandis que des adultes discutent entre eux. Pour ma part, je contemple longuement les flammes orangées et entends les crépitements produits, ce qui m'apaise instantanément. Le temps défile si rapidement que j'ai l'impression qu'une dizaine de minutes se sont écoulées depuis l'allumage du feu. En réalité, cela faisait plus de deux heures que j'étais assise au même endroit et c'est lorsque qu'Etha vient à ma rencontre que je réalise qu'il est maintenant temps de partir. Ygrid et Gafael sont déjà rentrés parce qu'ils travaillent le lendemain matin. Étant donné que mes cours débutent en matinée, je dois suivre leur exemple et emprunter une fois de plus le sentier qui mène à la maison.





Sedna [en pause]Where stories live. Discover now