(ne pas) Dire les choses (mais les montrer) 1 - l'Encyclopédie

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Dire au lieu de montrer, c'est souvent la source de mes plus grosses déceptions car à l'origine des explications inutiles, hors sujet et qu'on n'a vraiment pas envie de lire au moment où on nous les donne.

Il y a plusieurs cas, je les ai classés de celui qui est le plus facile à rattraper (et qui m'énerve le moins) au plus compliqué à gérer (et qui m'énerve le plus).

1) Le cas le plus évident à repérer est celui « encyclopédie ».

Premier exemple :

« X et Y courent après le voleur. Ils arrivent devant une vieille longère.

— Elle n'est pas droite cette maison, dit Y.

— Parce que c'est une maison traditionnelle, répond X. Elle est en terre. C'est un matériau qu'on a oublié après la guerre, mais qui est beaucoup plus écologique que le béton. D'ailleurs on essaye de le réintroduire mais ça ne marche pas à cause des grandes entreprises qui vendent le ciment et ne veulent pas perdre leur marcher. Pourtant la terre c'est vraiment LA solution pour l'avenir. On pourrait croire qu'avec la pluie, ça va couler et devenir de la boue, mais non, parce qu'il suffit d'un petit débord du toit et d'un socle en pierre pour protéger le mur. Ce genre de ferme en terre a souvent plus de 200 ans !

Ils reprennent leur souffle puis repartent à la poursuite du voleur. »

Ici, j'ai mis un personnage pour faire « l'encyclopédie ». Parfois ça peut rentrer dans la personnalité du personnage (type « premier de la classe » dans Fées, weed et guillotines de Karim Berrouka) mais en général, ce n'est pas le cas.

Ici, ce qu'il suffisait de dire :

« "X et Y courent après le voleur. Ils arrivent devant une vieille longère.

— Elle n'est pas droite cette maison ! dit Y.

— Parce que c'est une maison en terre, répond X. Elle doit avoir plus de 200 ans !

— Alors faudra faire gaffe si on doit monter aux étages.

Ils reprennent leur souffle puis repartent à la poursuite du voleur."

Dans cette version, X ne noie pas Y sous les informations, Y peut donc conclure, des informations qu'il reçoit,  quelque chose d'intéressant pour l'histoire .

C'est aussi plus crédible, parce qu'après avoir couru, bon courage pour déballer votre exposé sur l'architecture en terre...

Le pire, je trouve, c'est quand c'est le narrateur qui se charge de faire l'encyclopédie. C'est encore moins naturel et plus ennuyeux :

"Ils courraient depuis dix bonnes minutes. Ce maudit voleur les distançait lentement mais sûrement. Soudain, X et Y arrivèrent devant une vieille longère toute tordue, car ses murs en terre s'étaient tassés avec le temps et ses poutres étaient rongées par les insectes. Le bâtiment avait sûrement plus de deux cents ans, puisqu'il était en terre et que la terre était le matériau de construction le plus répandu en France, avec la pierre, avant les deux guerres mondiales. Aujourd'hui, le matériau est tombé en désuétude. Quelques professionnels tentent de le ramener au goût de jour mais, société consommatrice oblige, les grands pontes du béton font pression sur les législateurs afin que les textes nécessaires à la réintroduction de la terre ne voient pas le jour.

— On entre ? dit X.

— OK ! répond Y."

Je sais que beaucoup d'entre vous rigolent en lisant ça et se disent que je force le trait et qu'après relecture, ce n'est pas possible de laisser ce genre de choses... Si, si et re-si. Tous les exemples que je donne, je les réécris pour ne mettre en cause aucun auteur, mais je les ai lus (et parfois dans mes propres écrits ! ^^).

Quand je lis ce deuxième exemple dans un manuscrit, je prends un stylo et de "car ses murs en terre" à "ne voient pas le jour" je mets une grosse parenthèse et je note "OSEF & MD".

Analyse :

D'abord, parler plus de la ferme ne sera pas utile à moins que cela induise un nouvel élément intéressant pour l'histoire. Mais avant même de s'intéresser à la ferme, il serait bienvenu de donner plus d'ambiance à la course : "Ils courraient depuis dix bonnes minutes. Leur souffle devenait laborieux. Leurs poumons étaient en feu. Ce maudit voleur les distançait lentement mais sûrement."

Ensuite, le bâtiment est VIEUX. C'est ça le propos, c'est ça qui va conditionner la suite de l'histoire et mettre du suspens (va-t-il s'écrouler, etc. ?) Donc on reste concentré : "Soudain, X et Y arrivèrent devant une vieille longère toute tordue." C'est le minimum vital. Vous pouvez décrire plus la ferme : "L'enduit par endroit était tombé et laissait à nu la terre pisée et les pierres à la base des murs. Là où le toit n'était plus, la surface des murs était rugueuse, usée par la pluie. Des trous témoignaient d'un ancien balcon encastré à même la paroi et aujourd'hui disparu."

Enfin "la terre était le matériau de construction le plus répandu en France, avec la pierre, avant les deux guerres mondiales." On ne veut pas de cours d'histoire. "Quelques professionnels [...] pas le jour." On ne veut pas non plus de leçon politique et morale sur notre société contemporaine ! Ce petit paragraphe à lui seul a le potentiel d'être un roman ! Vous en ferez donc un autre, spécifiquement sur le sujet, si vous voulez dénoncer le problème.

On peut arriver directement au discours après la description de la ferme : les héros sont fatigués et s'engagent dans un bâtiment dangereux, c'est ce que le narrateur nous a montré et fait comprendre.

"— On entre ? dit X.

— OK ! répond Y."

En résumé, pourquoi ça ne marche pas ?

-> On casse le rythme. Cette dissertation sur l'archi en terre, faite par un perso ou par le narrateur, est sûrement très intéressante mais là, on veut aller à la poursuite du voleur, pas recevoir un cours d'architecture. Donc OSEF (on s'en fiche, pour ceux qui ne connaissent pas l'expression).

-> L'information est présentée de manière indigeste et non naturelle. MD = mal dit.

Et comment on en arrive à une telle "erreur" ?

L'auteur vient de faire des recherches (c'est tout à son honneur), n'a pas encore digéré les informations (voire ne les a pas comprises, voire a mal fait ses recherches) et donc lorsqu'il essaye d'en parler, il ne peut s'empêcher de déballer tout ce qu'il vient d'apprendre avec un grand mimétisme du texte (ou des textes, mais ils ne sont pas rares ceux qui s'arrêtent à une seule source) qu'il a lu (aka, un article de dictionnaire, d'encyclopédie, de blog ou de Wikipédia... Les trucs les plus digestes du monde à lire...).

Comment l'éviter & la corriger ?

Lorsque vous faites des recherches, laissez reposer avant de les réintroduire dans votre texte. C'est quand les informations sont distillées pertinemment (au bon moment, au bon endroit) et avec justesse et mesure (ce qui est utile seulement), et non quand elles nous sont balancées en bloc en pleine figure, qu'on apprécie le plus de les recevoir dans un roman (de manière générale).

Si à la première introduction des infos dans l'histoire, vous n'arrivez pas à casser le bloc, passez à autre chose, puis revenez à votre texte.

Mes techniques de base pour casser un bloc :

— chercher un autre angle d'attaque,

— chambouler l'ordre des phrases,

— dispatcher les infos entre dialogue et narration.


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