La première phrase du livre est hyper importante. On dit souvent « soignez votre premier chapitre ». Avant même de soigner un chapitre, il faut soigner la première phrase, car c'est elle la vraie porte d'entrée dans l'histoire. Elle est trop souvent négligée et donc plate ou banale, alors qu'elle doit vraiment être percutante (ça ne veut pas forcément dire courte ou parlant d'action). Je vous conseille de lire J.P. Jaworsky pour ça (Gagner la Guerre ou Janua Vera).
Pour la trouver, certains auteurs choisissent leurs mots un par un, et puis d'autres écrivent une phrase, la rayent, puis en écrivent une autre etc. jusqu'à trouver la bonne sans se dire « Ouais ce mot fait ci et celui ça et du coup ça présente bien l'histoire ! ». Je pense qu'il y a une question de technique mais aussi de feeling, comme souvent quand on écrit :)
Les 1ere phrases des nouvelles de Janua Vera :
"Le voici brutalement dressé, haletant, les yeux écarquillés sur la pénombre des appartements royaux" => fonctionne parce qu'on implique une action directe (il se lève) + un état d'esprit qui parlera à 95% d'entre nous si ce n'est tout le monde. On s'est tous réveillé comme ça, brutalement, un jour. Enfin, les appartements royaux : on sait déjà que ce sera le roi ou quelqu'un de proche de lui le héros. Cette phrase donne tout le concept de la nouvelle : un roi angoissé n'arrive plus à dormir.
"Je m'appelle Benvenuto Gesufal" (ça fait penser au début de Moby Dick : "Appelez moi Ishmael." ou « Je m'appelle Ishmael, mettons. » selon les traductions.) => fonctionne parce qu'elle introduit directement le personnage principal. On connaît son identité, on sait que c'est lui qui va nous raconter l'histoire, on comprend qu'il va toujours droit au but/qu'il est pressé donc en danger (donc l'histoire sera à propos d'un truc louche : meurtre, chantage, etc.) et, pour commencer son récit comme ça, on comprend qu'il va nous raconter un truc qui sera un souvenir qui doit, à son avis, rester dans les mémoires afin de rendre sa disparition moins vaine. (Je jure que j'avais écris ça avant de lire la fin des histoires sur ce personnage). Je dis « on comprend »... on ne comprend pas tous, mais on le « sent » en tout cas.
D'ailleurs dans le Déchronologue, le principe « je me présente à la première phrase car je vais mourir » est explicitement dit : « Je suis le capitaine Henri Villon, je mourrai bientôt. »
"Aujourd'hui, Aunulf m'a rendu visite. Je dis "aujourd'hui" mais je n'en suis pas très sûr" (j'ai mis les deux phrases car le parallèle est évident à faire avec le début de l'Etranger de Camus : "Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.")
(je vais pas toutes les analyser, ce sera vos exercices)
"Ils apparurent sur la route de Carroel, là où le chemin sort de la forêt de l'Ubac et dégringole en lacets serrés vers les lopins" => ici on garde l'idée d'une action directe (apparaître) mais pour le reste, on s'attache à une description plus poétique et bucolique qui laisse figurer le ton de la suite de la nouvelle : ce sera l'histoire de voyageurs dans un pays de verdure.
"Le chaos." (la suite est classique dans les films d'action épique avec narrateur : "Le chaos. Une mêlée confuse, brutale, avait éclaté à l'ombre des collines, des forêts sombres, sous une pluie drue..." par exemple voir le début de Xmen 1)
D'autres exemples, qui usent des codes des contes :
"C'était une petite fille comme il en existe mille autres: une frimousse semée de taches de son, un nez mutin et des yeux pétillants" (où comment banaliser son héroïne toute en la rendant attirante)
"Ce matin-là, Maitre Druse Calame cassa la clef de son logis, et acquit la conviction que la journée serait mauvaise" => donne tout de suite le ton burlesque de cette histoire en présentant le personnage et le problème : il a la poisse !
"Le plus souvent, c'est dans le clair-obscur des futaies que le drame se noue"
=> ici on met l'accent sur l'ambiance qui sera stressante. Les héros ne compte pas, ni leur problème. La seule chose qui compte c'est de vous faire peur.
D'autres œuvres (merci aux Oméganautes pour m'avoir aidé dans cette recherche) :
Aurélien, d'Aragon : "La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide."
R.Bradbury, Fahrenheit 451 : "Le plaisir d'incendier !"
C.Martinez, Le coeur cousu. : "Mon nom est Soledad. Je suis née, dans ce pays où les corps sèchent, avec des bras morts incapables d'enlacer et de grandes mains inutiles"
A.Damasio, La Horde du Contrevent : "A la cinquième salve, l'onde de choc fractura le fémur d'enceinte et le vent sabla cru le village à travers les jointures béantes du granit"
L.Rhinehart, l'Homme-dé : "Le style fait l'homme" dit un jour Richard Nixon, et il passa sa vie à ennuyer ses lecteurs.
Terry Pratchett, La huitième couleur : "L'incendie grondait dans la cité géminée d'Ankh-Morpork."
et la phrase suivante, pour être sûre d'agripper le lecteur, fait tout le premier paragraphe du chapitre : "Lorsqu'il lécha le quartier des Mages il flamboya dans les tons bleus et verts parfois émaillés des lueurs étranges de la huitième couleur, l'octarine ; lorsque ses flammes de tête s'infiltrèrent dans les cuves et dans les réserves d'huile le long de la rue des Marchands, il progressa par une succession d'explosions et de fontaines ardentes ; dans les rues des parfumeurs il dégagea une odeur suave : lorsqu'il s'en prit aux bottes d'herbes sèches et rares emmagasinées chez les maîtres apothicaires, il fit perdre la raison à la population qui se mit à parler avec Dieu" (chose extraordinaire puisque Dieu n'existe pas sur ce monde ^^') Je pense que cet extrait met aussi en avant une très belle utilisation du « ; »
VOUS LISEZ
Conseils d'écriture pour apprentis écriveurs.
RandomTout est dans le titre ! Vous avez un blanc ? Vous cherchez une idée pour écrire ? Un doute sur la méthode à adopter ? Vous trouverez peut-être un début de réponse ici. Et si ce n'est pas le cas, posez votre question en commentaire !