Échappée un matin des murs du Palais suspendu, la nouvelle se répandit par les chemins de l'Empire comme une nuée de sable portée par le vent. Elle traversa montagnes et vallées, descendit fleuves et falaises, irrigua villes et villages, étonnant quiconque l'entendait. Prenant de vitesse les colporteurs et les messagers qui serpentaient sur leurs sentiers sinueux, elle atteignit une vieille femme qui cheminait au flanc d'une rizière, en compagnie d'un étrange démon aux contours de sandale. Elle fut heureuse de l'apprendre, mais pas réellement surprise.
Pour la première fois depuis on ne savait quand, le cortège impérial s'était mis en route. Il traversait l'Empire, lui aussi, précédé en tout point par la nouvelle, infiniment plus véloce, qui l'annonçait. Le somptueux palanquin, escorté d'un fort contingent de gardes, passait devant les yeux émerveillés des habitants, qui avaient longtemps cru ne jamais le revoir. Certains de ceux qui le virent passer ces jours-là dirent même, plus tard, que le palanquin flottait légèrement au-dessus du sol, dépourvu de porteurs, soutenu par une sorte de nuage rose.
Quand la nouvelle parvint au petit village côtier de Sakura, dans les provinces du Sud, tout le monde suspendit ses activités : le cortège approchait. Sur le rivage, son père, le jeune Koji et tous les autres pêcheurs abandonnèrent leurs filets pour aller le voir passer, conscients qu'ils ne reverraient sans doute jamais de leur vie pareil spectacle. Qu'est-ce qui avait poussé l'Empereur à redescendre sur terre après tout ce temps ?
À l'entrée du village, toute la population était rassemblée pour l'accueillir. Monsieur et Madame Kawaguchi, Kiko, les parents de Sakura et le petit Haru se tenaient avec respect sur les bords de la route, prêts à saluer l'extraordinaire véhicule et son impressionnante compagnie. Quand ils le virent émerger au détour du chemin et s'approcher d'eux, ils se sentirent soulevés par quelque chose qui leur échappait, comme l'espoir fou qui survient lorsque ce qui était depuis toujours impossible, tout à coup, cesse de l'être. Les soldats qui défilaient devant eux ralentirent le pas. Ils peinaient à croire ce qu'ils contemplaient : le cortège n'allait pas simplement traverser le village, mais s'y arrêter. L'imposant palanquin fit halte juste devant Haru et ses parents. Les habitants s'agenouillèrent et s'inclinèrent.
La porte du palanquin s'ouvrit, et tout le village poussa un cri d'étonnement en voyant Sakura descendre et serrer son petit frère dans ses bras. Elle embrassa ensuite ses parents. Elle était vêtue comme au jour de son départ.
"Vous m'avez tellement manqué, leur dit-elle. Pardonnez-moi de vous avoir laissés aussi longtemps.
-- Nous sommes si heureux de te revoir, soupira sa mère, et nous sommes si fiers de toi !
-- Le jardin des Kawaguchi commençait à s'embroussailler, plaisanta son père.
-- Mais où est l'Empereur ? demanda Haru. Il n'est pas avec toi ?
-- Il n'y a plus d'Empereur, répondit-elle. Il n'y a plus qu'une impératrice."
L'expression qui se dessina alors sur le visage du petit garçon devait rester gravée à jamais dans le souvenir de Sakura comme l'un des moments les plus drôles de son existence.
"Alors... alors ça veut dire qu'on va aller habiter dans le Palais suspendu ? demanda-t-il encore, incrédule.
-- Non, Haru. Nous habiterons dans un palais sur terre."
FIN
Image : Femme noble voyageant en palanquin, artiste anonyme de l'ère Meiji
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DANS LES JARDINS DU PALAIS SUSPENDU
FantasíaAu temps de leur splendeur, les Sept Jardins de l'Empereur rayonnaient aux quatre coins du monde. Désormais ils sont interdits. Que cachent les hautes murailles qui les enferment ?
