Chapitre 13 (réécrit)

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3 janvier 1944

James a réussi à gâcher mes vacances en nous rendant visite quasiment tous les deux jours : sa présence presque continue dans les environs immédiats de ma ferme m'a totalement empêché de sortir. Je n'ai remplis aucune mission, je n'ai porté aucun message et surtout je ne me suis pas une seule fois rendue chez les Hamon-Brunel pour voler de la nourriture. J'ai été obligée de puiser dans nos réserves pendant dix jours et maintenant, il ne nous reste presque plus rien à nous mettre sous la dent.

James ne venait pas tout le temps à la maison, il se contentait parfois de rester en haut de la colline à observer les alentours pendant une heure ou deux. Mais il se rattrapait ensuite en venant juste avant le souper pour bavarder comme il aimait à le dire et je détestais cela car il faisait toujours comme si ma mère n'était pas là et il était de plus en plus insistant à mon égard.

Parfois je me demandais vraiment si les missions de la Milice le concernait encore tant il ne semblait être intéressé que par moi.

Je n'aime pas sa manière de me regarder, il...

Mais comment peut-il faire cela alors qu'il sait parfaitement que je l'ai vu exécuter devant moi des personnes que je connaissais bien ?

Est-ce qu'il s'imagine que je ne lui en veux pas ?

Est-ce qu'il pense sincèrement que je ressens le moindre sentiment pour lui ?

Si oui, il est complètement cinglé.

Et maintenant, après nous avoir bien ennuyées ma mère et moi, cela fait une semaine qu'il n'est plus venu chez nous. Je n'y comprends plus rien : il faut absolument que j'en parle à Paul car lui aussi a eu droit aux visites de James pendant la même période et ça ne me plait pas du tout.

Si j'ai clairement compris que j'étais la cible prioritaire de James, je ne comprends pas pourquoi il s'intéresse aussi à la famille de Paul. Après tout, François m'a bien spécifié qu'il n'avait pas une position aussi importante que mon père.

A moins que...

Tandis que je m'habille rapidement dans ma chambre pour me rendre à l'école, je commence à penser que François ne m'a pas tout dit pour me protéger et qu'il est bien plus impliqué dans la Résistance que ce qu'il a bien voulu m'expliquer.

Dans ce cas, il est autant en danger que moi.

Je me demande s'il est possible que quelqu'un de notre entourage puisse nous avoir trahi car cela expliquerait cet intérêt soudain de la Milice, et indirectement des Allemands, pour nos deux familles. Non, si cela avait été le cas, nous aurions déjà été arrêtés.

Cependant, je ne peux plus nier qu'ils se doutent de quelque chose, qu'ils ont des soupçons et je peste de ne pas savoir sur quoi exactement : la présence d'un homme de la Milice assis sur un banc au fond de la classe pendant les derniers jours de l'année scolaire m'a définitivement convaincue qu'ils me surveillaient.

Ils ont peut-être des informations sur les agissements de mon père, sur mes vols dans la propriété des Hamon-Brunel ou encore sur le sabotage de la Pointe du Hoc. Cela pourrait être n'importe quoi.

Juste avant les vacances, Paul et moi nous avons choisi de garder nos places mais nous ne nous sommes plus adressé un seul mot afin de ne pas attirer l'attention de l'officier français. Aujourd'hui nous reprenons les cours et comme je n'ai aperçu Paul qu'à deux reprises et de très loin pendant les congés, j'ai vraiment hâte de pouvoir lui parler à nouveau librement.

Lorsque je sors dans la cour de la ferme mon regard est attiré par un vieux seau renversé sur le sol. Immédiatement je regarde autour de moi et guette le moindre bruit suspect. Comme je n'entends rien et que je ne remarque rien d'anormal, je m'approche du récipient et je découvre dans un linge plus très propre plusieurs conserves, un grand morceau de pain et un bouton d'une des vestes de Paul.

Je comprends qu'il a réussi à mener à bien une petite expédition chez les Hamon-Brunel malgré les surveillances rapprochées de James et j'esquisse un petit sourire. Je prends rapidement les vivres et les apporte aussitôt à ma mère puis je jette le bouton dans les buissons et je me dépêche de gagner le village pour éviter d'être en retard.

En quittant la ferme je regarde avec nostalgie vers la plage : le temps où j'y passais des heures à jouer avec Paul me semble si loin à présent...

Sur la route qui mène à Colleville, je repense à mon père : s'il avait été découvert, mort ou vif, les Allemands et James en particulier, se seraient fait un plaisir de nous communiquer la nouvelle. Comment fait-il pour échapper à leur traque, je ne sais pas, mais cela me rassure de voir que la Milice n'arrive pas à le retrouver.

Lorsque je m'approche de l'école je constate avec soulagement que le soldat allemand a fait son retour : il n'y a aucune trace de James ou de ses copains. Je signe le carnet de présence, je vais m'installer rapidement à ma place habituelle et je remarque qu'il n'y a personne assis au fond de la classe. Le soulagement que j'ai ressentis en arrivant à l'école en ne voyant pas James s'évanouit instantanément : il doit forcément y avoir une raison à l'absence de James et des autres miliciens.

J'ai décidément beaucoup de mal à trouver une certaine cohérence dans leurs actes et leur manière de se conduire : pourquoi sont-ils apparus fin novembre pour disparaître aussi soudainement un mois plus tard ?

Je suis si absorbée par mes réflexions qu'il me faut une bonne heure pour réaliser que la place à côté de moi est toujours vide. Lorsque j'en prends conscience, je sursaute sur ma chaise puis je regarde rapidement autour de moi : Paul est le seul absent.

Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés  chez Poussière de Lune Édition }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant