Chapitre 1 (réécrit)

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16 août 1941

Cela fait presque deux ans que la guerre a commencé.

Je me rappelle ce soir du 3 septembre 1939 où, attablés à la cuisine, nous écoutions le bulletin d'informations à la radio : ce dernier avait débuté de cette manière : « La France a déclaré la guerre à l'Allemagne ».

Je n'avais pas saisi l'ampleur de cette simple phrase et de ses conséquences sur notre vie quotidienne. Cependant, en observant les traits tendus de mon père, j'avais compris que c'était grave. Ce dernier a connu la Grande Guerre : il avait 17 ans en 1914 lorsqu'il s'était engagé dans l'armée en trichant sur sa date de naissance. Blessé dans les tranchées en Belgique, il avait été contraint de quitter le front et son régiment pour être rapatrié et soigné en France.

Depuis, il fait partie des vétérans de la guerre et n'a donc pas été mobilisé il y a deux ans.

Avec lui, j'ai suivi l'évolution de la guerre jour après jour : je ne comprenais pas tout mais du haut de mes 12 ans à l'époque, je pouvais deviner que la situation n'était pas brillante.

Souvent j'entendais à la radio que d'autres pays se déclaraient en guerre à leur tour ou qu'ils proclamaient leur neutralité.

A la fin du mois de septembre 1939, l'Allemagne et l'Union soviétique occupaient intégralement la Pologne. Naïvement, comme ce pays était éloigné de la France, je n'avais pas imaginé un seul instant que le conflit s'étendrait jusqu'à nos portes.

A la radio j'entendais régulièrement des termes comme « annexion de territoire » ou « négociation de traité » et mon père tentait de m'expliquer leurs significations de son mieux.

En avril 1940, l'armée allemande avait envahi le Danemark et la Norvège : une nouvelle fois je n'avais pas ressenti la moindre inquiétude car ces pays étaient si loin de nous...

Mon père, quant à lui, ne cachait pas son anxiété car l'Allemagne semblait délaisser les régions de l'Est pour s'intéresser à celles de l'Ouest.

Un mois plus tard, en mai, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas étaient à leur tour envahis : à cet instant j'ai fini par comprendre que les inquiétudes de mon père étaient fondées car désormais les ennemis de la France étaient à nos frontières. J'avais peur, très peur.

Le mois de juin restera gravé à jamais dans mon esprit : les Allemands avaient finalement pénétré sur le territoire français et avaient bombardé Paris avant d'y arriver le 14 juin. Quatre jours plus tard résonnait à la radio l'appel du 18 juin du Général de Gaulle dans lequel il exhortait les français à poursuivre la lutte.

Je n'oublierai jamais l'abattement de mon père le soir du 22 juin : en ayant entendu que son pays avait capitulé et signé l'armistice avec l'occupant, il n'avait plus prononcé un seul mot et il était resté une bonne partie de la nuit assis dans la cuisine, le regard perdu dans le vide.

Colleville sur Mer faisait partie de la zone occupée par les Allemands : l'armistice allait complètement bouleverser notre quotidien car nous étions devenus captifs dans notre propre pays.

Le lendemain, mon père prenait une décision qui allait changer radicalement notre vie : il allait quand même se battre mais différemment : il allait résister aux allemands.

Vivre dans un pays occupé avait des conséquences sur tous les aspects de notre existence : quelques semaines après l'armistice, des responsables de la Kommandantur de Colleville s'étaient présentés chez nous et nous avaient expliqué que nous devions contribuer à l'effort de guerre en leur transmettant la majorité de la production de notre exploitation agricole. Nous avions cependant reçu l'autorisation de garder un maigre pourcentage pour notre consommation personnelle.

Les larmes d'Auschwitz {Tome 1 et 2 publiés  chez Poussière de Lune Édition }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant