Chapitre 25

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J'ouvre soudainement les yeux et me redresse sur mon lit, le corps en sueur. Ma tête me tourne horriblement et je dégage la mèche de cheveux collée sur ma joue. À tâtons, j'attrape une tunique et m'habille pour sortir de ma chambre. Je savoure l'air frais du salon et mon regard se pose sur la petite bougie qui brûle pour éclairer la pièce sombre. Le soleil n'est pas encore levé mais Saevald est déjà assis devant la table, un parchemin à la main. Il redresse la tête en me voyant :

« Toi non plus, tu n'arrives pas à dormir ?

— J'ai... J'ai fait un cauchemar.

— Je vois.

— Et toi ? Qu'est-ce qui t'a réveillé ?

— Oh, eh bien... La perspective de la guerre, probablement. Des villages voisins disent avoir vu des soldats vêtus de noir et de peaux de loups au nord. S'ils disent vrai... Alors nous sommes tous morts. »

Son teint se fait grave et je m'approche de la table pour m'asseoir en face de Saevald.

« Pourquoi dis-tu cela ?

— Le peuple des guerriers habillés en loups est très redouté, car leur violence n'a d'égale que leur folie. Mon frère a jadis eu le malheur de fouler leurs terres avec ses soldats, mais... »

Le chef des armées ne termine pas sa phrase, car sa voix se coupe sous l'émotion. Des souvenirs douloureux lui reviennent et son visage se crispe avec une grimace.

« Ce sont... les Berserks ?

— Comment connais-tu ce nom ?

— Erika m'en a parlé à mon arrivée au village. Je suis désolée pour ton frère et son armée. »

L'homme range son parchemin en gardant les yeux baissés, en pleine réflexion.

« Quoi qu'il en soit, ce peuple est une réelle menace pour tous ceux qui croisent leur chemin.

— As-tu déjà songé à te venger d'eux ? De ce qu'ils ont fait à ton peuple ? »

Ma question a fusé sans que je puisse la retenir et Saevald plante aussitôt son regard dans le mien avec dureté. Je rectifie aussitôt mon propos :

« Je pensais... que les Jomsvikings se devaient de sauver l'honneur de leurs soldats en se vengeant de l'ennemi.

— Ça, c'est lorsque l'ennemi est de force égale. Or provoquer les Berserks relève du suicide. Et je ne tiens pas à perdre mes hommes. »

Je hoche la tête et touche ma nuque nerveusement. Saevald déglutit et pose ses coudes sur la table.

« À ton tour. Raconte-moi ton cauchemar.

— Je... J'apprends à me servir du seidr et à mieux le comprendre depuis plusieurs jours comme tu le sais, mais... J'avoue que ça me terrifie. Je sens comme une menace qui se rapproche de moi, une sorte de présence malveillante qui me surveille jusque dans mes rêves.

— Tu penses... que cela aurait un rapport avec le seidr, ou avec la présence des Berserks dont je viens de te parler ?

— À vrai dire... Je ne sais pas. »

Saevald me dévisage longuement, mais je reste de marbre pour ne pas trahir mes émotions. Voici deux jours que mes nuits sont dérangées par un cauchemar terrifiant et la sensation de me faire envahir par une magie noire. Je sens la mort approcher progressivement, mais j'ignore si cela me concerne directement. Et je ne peux pas partager avec Sven mes visions, car il me fera tuer de la même façon que la Völva a prédit la mort de son fils aîné. J'observe avec attention les traits du visage de Saevald et mon cœur se resserre douloureusement.

« Parle-moi de ta magie. Est-ce que tu la maîtrises, à présent ?

— Je contrôle de mieux en mieux mes émotions, oui. Pour ce qu'il est d'extérioriser le seidr... J'ai appris les runes qui étaient présentes dans les parchemins.

— Tant mieux. »

Je sens la curiosité de Saevald et son regard qui transperce ma chair. Mon cœur n'a toujours pas repris son rythme normal depuis mon réveil et je sens encore mes jambes trembler après mon cauchemar. Mon talon tape contre le sol de façon répétée et j'inspire longuement.

« Varunn... Tu es très pâle. Est-ce que ça va ? »

J'acquiesce rapidement mais Saevald n'est pas convaincu.

« Peut-être souhaites-tu... manger quelque chose ? »

Je me lève de ma chaise avec un haut-le-cœur et le chef des armées se lève à son tour. Il me lance un regard inquiet et je plaque une main devant ma bouche par réflexe. Une nausée me prend et je cours dans la salle de bain pour vider mon estomac dans le seau le plus proche. À genoux sur le sol, je tente de calmer les tremblements qui agitent mon corps. Mes doigts se crispent sur le rebord du seau et je ferme les yeux avec un goût amer dans la bouche. Saevald me rejoint aussitôt et s'accroupit près de moi. Je vomis une deuxième fois et la bile brûle mon œsophage.

« Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ?

— Laisse-moi... seule. Je ne veux pas que tu me voies dans cet état.

— Tu es malade, Varunn. Je reste avec toi. »

Je crache dans le seau et ma poitrine est parcourue de spasmes pendant un court instant. Je réalise à quel point je suis fragile et cette sensation m'écœure. Mon corps est fatigué et ma force est réduite. Saevald rassemble mes cheveux derrière ma tête pour qu'ils ne tombent pas dans le seau et une mèche rebelle retombe devant mes yeux. Je savoure le contact de ses doigts qui effleurent mes joues.

« Quand as-tu mangé pour la dernière fois ?

— Je... Je ne sais pas. Hier matin, sans doute.

— L'exercice du seidr t'épuise, je le vois.

— Ce n'est pas le seidr. »

Son geste s'arrête et je redresse la tête pour reprendre mon souffle.

« Je sens la magie lorsqu'elle se manifeste en moi. Or là, je ne sens rien. »

J'essuie la salive sur mes lèvres avec la manche de ma tunique et me relève avec difficulté. Saevald enroule son bras autour de ma taille pour que je m'appuie sur lui et je le remercie d'un hochement de tête. Je sors de la pièce et traverse le couloir d'un pas hésitant, suivi de près par le chef des armées. Il me raccompagne dans ma chambre et je m'allonge sur mon lit, épuisée. Saevald replace les draps par-dessus mon corps jusqu'à mes épaules et s'éloigne près de la porte. Je le retiens :

« Reste. Reste, s'il te plait. »

Il se retourne vers moi, une main sur la poignée de la porte.

« Tu m'as dit que tu voulais être seule.

— J'ai peur de refaire un cauchemar. Lorsque tu es avec moi, je me sens apaisée. »

Sans plus un mot, Saevald cède à mes prières et referme la porte de ma chambre. Il me rejoint et s'assoit sur le rebord du lit, dont la largeur ne permet qu'à une personne de dormir. Le guerrier passe lentement sa main dans mes cheveux blonds et s'allonge avec précaution pour ne pas me toucher. Rassurée par sa présence, je me tourne sur le côté et m'endors presque immédiatement. 

Varunn [Terminée]Where stories live. Discover now