Chapitre 14

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Étonnamment, depuis le retour de Saevald, sa maison est vide. Le maître de maison est sans cesse convié à des réunions et autres événements militaires et politiques, tandis que Héla s'efforce d'attirer l'attention de son promis en s'affichant publiquement à ses côtés. Je reste donc seule durant des journées entières dans la demeure du fils de Sven.

Je passe ma tête dans l'entrebâillement de la porte de ma chambre et observe le salon et le couloir déserts. Soulagée, je me hâte de courir jusqu'à la salle de bain, à moitié nue. Je ferme le verrou derrière moi et souris en plongeant d'abord mes pieds dans la grande bassine d'eau chauffée à la flamme. Je détends l'ensemble de mon corps et recouvre jusqu'à ma tête dans ce bain exquis. Je me hâte de me laver les cheveux et la peau avant que l'eau ne refroidisse et je saisis un tissu pour me sécher. Je m'enroule à l'intérieur, avec juste assez de matière pour couvrir ma poitrine et mon entrejambe. Alors que je débloque le verrou de la porte de la salle de bain, trois coups secs se font entendre à l'entrée. Je me raidis, en proie à la panique. Qui pourrait-ce être ? Un visiteur ? Je cherche furtivement des yeux des vêtements plus convenables à porter, en vain. J'ai laissé ma tunique dans ma chambre, je vais devoir traverser le couloir en déshabillée. Je me presse avant que la porte d'entrée ne s'ouvre et commence à courir vers ma chambre, les pieds encore mouillés. Je traverse le salon la tête baissée et mon visage se décompose lorsque je reconnais la voix de Saevald. Il referme la porte et acquiesce en se retournant vers moi. Choquée et prise au dépourvu, je m'immobilise devant lui. Gênée, je tire maladroitement sur le haut de mon tissu pour couvrir un maximum ma poitrine, sans relever trop le bas. L'homme me dévisage entièrement sans comprendre et dévie le regard :

« Varunn. Erika souhaite te parler. Elle est... Elle t'attend devant la porte.

— M... Merci. »

Je jette un coup d'œil vers ses affaires posées sur les chaises près de moi. Il a dû rentrer lorsque j'étais dans la salle de bain et je ne l'ai pas entendu avec le bruit de l'eau. Au bord du malaise, j'acquiesce et m'enfuis dans ma chambre pour revêtir une tenue convenable. Ceci fait, je m'efforce de déplisser les pans de ma tunique et faire ralentir les battements furieux de mon cœur. Je sors de ma chambre et croise le sourire rieur de Saevald, qui est plongé dans ses parchemins secrets. J'ignore cette moquerie silencieuse et ouvre la porte d'entrée pour faire face à Erika. J'observe mon amie et son visage indéchiffrable, qui attend patiemment que je referme la porte en bois massif.

« Erika, quelle surprise ! Que... »

L'ancienne guerrière m'adresse une gifle non retenue qui manque de me déplacer la mâchoire. Surprise, je titube et pose un genou au sol. Par réflexe, je porte une main à mon visage et l'autre est tenue devant moi pour garder à distance Erika qui croise les bras.

« Ça, c'est pour m'avoir impliquée dans tes projets suicidaires. »

Les poings serrés de mon amie tremblent sous l'émotion. Je jette un regard vers le soldat qui se tient à proximité de l'entrée de la maison, qui ne réagit pas.

« Tu te rends compte de ce que tu as fait ? J'étais contre cette idée, et je te l'ai dit. Je ne veux pas te former à te faire tuer, Varunn. N'essaie pas de me ressembler, tu ne connais pas les horreurs que j'ai vues au combat. »

Je prends appui sur mon genou pour me relever et affronte le regard d'Erika :

« Si tu es venue me voir, c'est qu'ils ont accepté mes requêtes. J'en conclus que tu es désormais citoyenne, à en juger par ta tenue. Tu devrais me remercier pour ce point.

— Je te suis évidemment reconnaissante d'avoir enlevé mes liens...

— Pourtant c'est bien une gifle que j'ai reçue.

— Parce que tu ne prends pas conscience de la situation dans laquelle tu t'es mise.

— Au contraire, je la comprends parfaitement. Il n'y a aucun retour en arrière possible et je le sais. Toi et moi sommes jumelles, désormais. Tu es surveillée et tes gestes sont limités au sein du village, tout comme moi. Je t'offre un moyen de te redonner espoir, une activité pour remplir tes journées. Un moyen de te venger du sort qu'ils t'ont réservé durant ces deux années, en m'entraînant. Un moyen de me faire gagner l'épreuve de sélection dans l'armée des Jomsvikings. »

Erika baisse les yeux et réfléchis quelques instants avant d'accepter :

« De toute façon, je n'ai pas le choix. Prends ça comme un service rendu après que tu m'as libérée. Après cela, nous serons quittes. »

J'acquiesce avec nervosité et serre sa main en signe d'accord mutuel. Ce à quoi mon futur mentor répond :

« Quelles sont tes suggestions ?

— Pardon ?

— Pour l'apprentissage des techniques de combat. As-tu des suggestions ? Car comme tu l'as si bien relevé, nous sommes surveillées. Il nous faut trouver un repaire où se donner rendez-vous pour tes entraînements.

— Eh bien je... Pourquoi pas la petite clairière à la lisière du village, celle qui longe la forêt. En ce qui concerne les armes, j'ai trouvé la réserve personnelle de Saevald, qui est impressionnante. Je pourrais lui emprunter une ou deux épées et arcs. »

Erika s'esclaffe bruyamment et je hausse les sourcils, vexée.

« Va pour la clairière, mais en ce qui concerne les armes, tu n'es pas sérieuse ? Tu ne feras pas deux mètres dehors avec ces épées. Les gardes t'arrêteront et te tueront pour trahison, pour avoir tenté de voler les biens du chef des armées. Quand bien même tu réussirais à me rejoindre, tu n'arriveras pas à les manier au combat. C'est trop tôt. »

Je croise les bras et Erika tapote amicalement mon épaule pour me rassurer. Je la laisse faire, rassurée qu'elle ait accepté de m'aider. Je pose mon regard sur sa béquille robuste qui l'aide à marcher et mon cœur se resserre.

« Très bien Varunn. Rejoins-moi demain à l'aube dans la clairière pour ton premier entraînement. D'ici là, repose-toi bien et mange à ta faim. »

J'acquiesce et lui souris tandis que mon amie s'éloigne en boitant pour prendre la direction des logements des villageois. J'ai entendu dire qu'une famille a accepté de loger la vétérane, afin de lui assurer un toit et un repas chaud quotidien.

Alors que je l'observe partir, je murmure doucement :

« Merci Erika. »

Varunn [Terminée]Where stories live. Discover now