Chapitre 14

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Ivan

J'aurai juré qu'elle allait craquer, mais non. Cette femme n'est décidément pas comme celles que j'ai pu croiser sur ma route et qui se jettent à corps perdu dans mes bras. Elle, est intègre, imprévisible et visiblement inaccessible. Me suis-je planté à son sujet ? Ne veut-elle pas de moi ? Ne lui fais-je donc aucun effet ? Je fais durement face à la réalité. Après tout ce que je lui ai fait subir, pas étonnant qu'elle me rejette de tout son être. Après ces derniers jours à l'avoir stalkée et joué avec ses nerfs, je réalise que mes tentatives peu subtiles ne sont pas au goût de ma nouvelle proie. Si ma stratégie de « qui aime bien châtie bien » est systématiquement couronné de succès auprès des femmes que je cible, Abigaël semble attendre tout autre chose d'un homme. Peu importe, je finirai par faire tomber les dernières barrières qui l'empêchent de s'offrir à moi, et je sais exactement comment. Aucune femme ne me résiste et Abigaël ne sera pas une exception.

Mon portable vibre et me coupe dans ma réflexion. Un numéro inconnu est en train de m'appeler et je sens instantanément ma mâchoire se crisper en devinant l'identité de l'appelant.

-La date butoir approche, Lovrić ! m'assène une voix rocailleuse tandis que je décroche.

-Melenzo... dis-je, solennel.

-Tu as ce qu'il me faut ?

-Oui, j'ai tout.

-À la bonheur ! Je n'y croyais plus depuis que tu as repoussé l'échéance il y a un mois.

-Tu n'as plus de souci à te faire. J'ai de quoi combler ma dette et celle de mon père.

-Lode a Dio* ! Dans ce cas, rendez-vous à 20 :00 ce soir, au port. Un de mes hommes viendra te chercher.

Puis il raccroche. Je prends une profonde inspiration et appelle aussitôt Dylo pour lui demander de rassembler l'argent et préparer le bateau puis je fouille dans mon dressing à la recherche d'une chemise. Depuis que Majka séjourne à l'hôpital, je n'ai pas pris la peine de faire des lessives. Heureusement, elle rentre ce soir. Tandis que je finis de m'habiller, j'entends alors sonner à l'entrée. Qui peut bien me rendre visite ? Je me résous à descendre et lorsque j'ouvre la porte, je découvre un homme d'une cinquantaine d'années, le visage recouvert d'une barbe minutieusement taillée et vêtu d'une cravate et d'un trench beige.

-Ivan Lovrić ? me demande l'homme.

-C'est moi-même, dis-je suspicieux.

-Inspecteur Loncar de Zagreb, dit-il en brandissant son badge sous mes yeux, j'aurai quelques questions à vous poser.

Mon cœur manque un battement. Mes plus grandes craintes me sautent soudain à la gorge. Si la police se mêle de mes affaires, je peux dire adieu à mon île.

-J'allais partir à vrai dire... dis-je.

-Ça ne prendra pas longtemps, m'assure-t-il.

Je le scanne de mes yeux. Il est un peu plus grand que moi et plutôt robuste mais son visage serein me rassure sur ses intentions. Je me résigne et le laisse entrer puis l'invite à s'asseoir sur un des fauteuils de mon salon.

-J'ai connu votre père, vous savez ? dit-il en s'asseyant. On a fait la bataille de Vukovar ensemble. C'était un brave homme, j'étais navré d'apprendre son décès cinq ans plus tôt.

Je sens mon cœur se serrer. J'aurai aimé lui poser des questions sur leur rencontre mais je ne peux m'y résoudre. Lui parler de mon géniteur ouvrirait les brèches de mes plus lourds secrets.

-Si vous me disiez ce que vous faites là, Inspecteur ? avancé-je.

Mon interlocuteur se pince les lèvres puis hésite quelques secondes avant de sortir de sa poche une photo. Il me la tend et j'y aperçois un cinquantenaire à forte corpulence, le visage fermé, fumant un cigare tandis qu'il serre la main d'un autre homme en costume. Le cliché semble avoir été pris à son insu. Je le reconnais de suite.

-Armando Melenzo, le parrain des Anconais, me lance Loncar. Cette photo a été prise dans notre capitale. Le bruit court que vous lui devez de l'argent.

-Connais pas, dis-je en lui redonnant la photo.

-Ce type est un mécréant, il est parrain d'un réseau de trafic de stupéfiant, prostitution, armes et j'en passe... Et j'ai des preuves qu'il cherche maintenant à s'étendre en Croatie, je veux juste m'assurer que ça n'arrive pas.

-Je ne peux rien faire pour vous Inspecteur, je ne sais pas qui est cet homme.

Je sens le regard de Loncar me passer aux rayons X.

-Écoutez, votre père m'avait confié à l'époque qu'il croulait sous les dettes. Si vous cherchez à renflouer les caisses auprès de Melenzo, sachez que vous faites une grosse erreur. Ce type ne vous lâchera pas. Adrija est la porte d'entrée sur nos frontières et il fera tout pour s'en emparer.

-Il y a erreur, Inspecteur, répété-je en me levant, maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je suis attendu !

Loncar me fixe, l'œil acéré, avant de rendre les armes.

-Très bien... Mais je vous laisse ma carte, au cas où vous changeriez d'avis.

Il la pose sur la table qui nous sépare puis se lève avant de se diriger vers la porte.

-Votre père m'a sauvé la vie, me dit-il en se tournant une dernière fois vers moi, et pour ça, je lui en serai éternellement reconnaissant. Je sais qu'il a fait de vous un homme droit... Ne le décevez pas.

Puis il referme la porte derrière lui. Je reste un moment au milieu du salon, comme meurtri. Même s'il est loin de connaître toute la vérité, il s'en approche dangereusement. Je finis mon verre de whisky d'une traite et rejoins Dylo qui m'attend sur la rive.

Nous arrivons une demi-heure plus tard au port d'Ancona et je repère la Berline aux vitres teintées de Melenzo sur le parking. Un de ses hommes m'attend, adossé au capot et en train de tirer sur une cigarette. Je m'avance dans sa direction puis il jette son mégot avant de m'écarter les bras et me tâtonner le corps à la recherche d'armes. Il finit par me lâcher et j'ouvre le sac que j'ai pris avec moi pour lui montrer son contenu. Il y plonge sa main et fouille brièvement avant de me faire signe de m'engouffrer dans la voiture. Je m'exécute puis il me conduit jusqu'à la résidence de Melenzo située dans les hauteurs du port. Arrivés là-bas, il me fait attendre dans son salon au style rudimentaire. Sur le mur derrière moi sont accrochés divers peintures et portraits et sur ma droite une tête de cerf empaillé me fixe de ses yeux austères. Après quelques minutes d'attente, Melenzo apparaît à l'autre bout de la pièce et traine sa silhouette dodue jusqu'à moi, me fixant de ses yeux plissés, un cigare à la bouche et les bras grands ouverts, comme pour m'inviter à l'étreindre.

-Alors tête d'ange ? Comme ça tu as ce qu'il me faut ? me lance-t-il de sa voix goguenarde.

Je dépose alors nonchalamment le sac encore ouvert à ses pieds, le stoppant net dans son élan.

-Tout est là, dis-je le ton morne.

Le parrain italien y jette un œil, une lueur d'étincelle dans les yeux tandis qu'il y découvre tous les billets d'euros que j'y avais fourrés.

-On est bon ? lui demandé-je.

-Ça m'en a tout l'air !

-Bien !

-Mes hommes te raccompagnent.

-Inutile, je connais la route.

Préférant me passer de ses services, je me décide à descendre au port à pied. Je foule sa maison pour la dernière fois et à l'idée d'avoir enfin comblé ma dette et que je ne reverrai plus cette enflure, mon cœur s'emplit d'allégresse. D'un pas léger, je rejoins Dylo qui m'attend au port.

*Dieu soit loué ! 

Riche de toi [Dark romance soft]Where stories live. Discover now