Chapitre 2 : Personne - 8

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Lorsque je me remis en marche, c'était pour trouver de l'eau et à manger, et donc pour survivre jusqu'à la prochaine pleine lune, 29 jours plus tard. Et s'il y avait bien une chose qu'on apprenait à connaitre précisément en cinq ans dans une maison maudite, c'était les cycles de la lune. Aujourd'hui encore, je les connais de façon pratiquement instinctive.

Rapidement, je trouvai un ruisseau pour me désaltérer. Et j'eus tôt fait de trouver la ville de Bourgoin, où les poubelles étaient plus importantes qu'en pleine campagne. Les humains étaient des animaux qui faisaient beaucoup de déchets, et notamment de la nourriture, ce qui m'avait toujours semblé étonnant et assez stupide, mais qui n'était pas pour me déplaire à cette période-là de ma vie. Car pendant près d'un mois, je pris mes quartiers dans la ville, en assurant le nécessaire pour survivre, ni plus, ni moins.

Je trouvai un abri sous un pont sous lequel coulait une petite rivière, ce qui me permettait de me désaltérer quand je le voulais. Je dormais là le jour, et je sortais la nuit pour passer inaperçue et ne pas retourner à la fourrière. Je ne faisais jamais les poubelles deux fois au même endroit pour éviter qu'on ne remonte mes traces. Il valait mieux qu'on croit que c'étaient d'autres chiens qui étaient coupables, et tant pis pour eux. Et surtout, je ne gaspillai pas du temps à me promener, à marquer mon territoire, ou que savais-je encore. Car cela m'aurait rendu plus visible et aurait desservi ma cause, qui consistait à retrouver la maison maudite.

Quant à sociabiliser avec d'autres chiens, ce n'était même pas une idée qui me traversa l'esprit. Certains voulaient que je sois leur copine, d'autres me voyaient commune une ennemie, mais je les voyais tous de la même façon. Ou plutôt, je ne les voyais pas. J'étais obnubilée par mon objectif.

C'est ainsi que chaque nuit, après avoir bu et m'être dépêchée de manger ce dont j'avais besoin, je partais en expédition. Je quittais Bourgoin et je prenais à chaque fois une direction différente pour explorer la campagne et essayer de retrouver la maison maudite, ou au moins le village de Rochetoirin dans les environs duquel elle se situait. Et je découvris bien des endroits, mais jamais celui que je cherchais.

Si bien qu'à trois nuits de la pleine lune suivante, je quittai Bourgoin pour ne plus y retourner. Lamaison maudite devait être plus loin, bien plus loin que la distance que les explorations nocturnes me permettaient de parcourir. Alors il fallait que je consacre ces trois jours à la chercher plus loin, même si cela impliquait de moins me nourrir, de moins boire, et de moins dormir. Mais là non plus, mes recherches ne donnèrent rien.

Lorsque la nuit de la pleine lune arriva, j'étais au bord de l'épuisement, et je cherchais toujours la maison maudite. Pendant toute la nuit, je la cherchai de façon frénétique, en essayant de repérer ce qui pouvait me guider. Des sifflements d'engoulevent, des coassements de crapauds, des bruits de pas venant de sous le sol, ou la vue d'un être, n'importe lequel, répétant sans cesse des « il m'appelle... il m'appelle... ».

Le matin, je m'endormis brusquement au bord d'une route, complètement crevée. J'aurais pu dormir là jusqu'au lendemain, si je n'avais pas été réveillée par quelqu'un qui tentait de me prendre dans ses pattes. Lorsque je me réveillai, il arrêta son mouvement, et il s'exclama, visiblement très surpris :

— Mais tu n'es pas mort !

Ça, non, je n'étais pas morte. Et lorsque je vis qu'il portait des gants, je crus que c'était un employé de la fourrière, et je le mordis au poignet avant de prendre la fuite. Ce ne fut que plus tard, un jour où je m'instruisais devant la télé, que je compris que ce type n'était pas un employé de la fourrière, mais un employé municipal chargé de récupérer les animaux morts au bord des routes. Je fus désolée pour lui, mais c'était trop tard, n'est-ce pas ? Après tout, il y a eu des soldats allemands qui furent désolés de ce qu'ils avaient faits, qui se rendaient compte après coup qu'ils avaient mal agi, mais ils furent quand même punis parce qu'ils l'avaient bien mérité. Dans mon cas, quelqu'un m'avait sans doute allongé au bord de la route, et comme je n'avais pas réagi à ce qui se passait autour de moi, il avait cru que j'étais morte.

Une vie de chienneNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ