Chapitre 1 : Tulipe - 7

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En juillet, le ventre de Monique fut énorme, et je sus qu'elle était sur le point de mettre bas. Mais je ne pus assister à cet évènement – si toutefois il se produisit. Car, en ce mois de juillet 1944, il se produisit un autre évènement terrible. Ce fut un matin qu'un groupe d'hommes arriva à la ferme. Ils tenaient des fusils, mais d'un genre assez différent à celui dont Richard se servait pour aller à la chasse. Mais surtout, je sus tout de suite qu'ils avaient de mauvaises intentions. Je sentais lorsque les humains avaient de mauvaises intentions. Tournesol aussi le sentit, alors on fit notre devoir : on alla devant eux en aboyant férocement pour leur bloquer le passage, et en étant prêts à les attaquer s'il le fallait.

Ce fut à ce moment-là qu'un des hommes tourna son genre de fusil, qui était une sorte de miniature, vers Tournesol, et qu'il tira. Tournesol m'avait déjà raconté ce qui se passait, quand un homme tirait avec un fusil, mais c'était la première fois que je voyais ça. Une blessure s'ouvrit dans le crâne de Tournesol, qui s'écroula au sol, mort.

Je m'arrêtai tout de suite d'aboyer, en essayant de comprendre ce qui se passait. Puis lorsque je vis l'homme tourner son fusil vers moi, je compris que j'étais la prochaine qui allait avoir le crâne détruit. Alors je pris la fuite et je retournai en courant et en aboyant comme une folle vers la ferme.

J'entendis un nouveau coup de fusil – j'appris plus tard que c'était plus exactement un pistolet et que c'était plus pratique pour tuer des humains – et je sentis quelques graviers frapper mon arrière-train. Je réalisai plus tard qu'à quelques coussinets près, j'aurai été touchée, et ma vie se serait achevée à l'âge de trois ans, au lieu de durer plus de 80 ans. Mais pour le moment, j'appelai ma famille à l'aide.

J'aperçus ce lâche de Mousseron aller se planquer dans la grange plutôt que d'apporter une aide quelconque. Puis je vis André sortir de la maison et s'exclamer :

— Des soldats allemands !

Je vins me poster près de lui, et je me retournai face aux étrangers, prête à passer à l'attaque et à venger Tournesol.

— Ils ont tué Tournesol, balbutia Bernadette.

Ces types, ces soldats allemands – je ne savais pas trop ce que ça voulait dire, même si j'en avais déjà entendu parler, et je savais au moins que ça désignait des assassins – s'approchèrent en donnant plusieurs ordres à ma famille. Qui, étrangement, obéit. Jusqu'à présent, ça avait toujours été eux qui donnaient des ordres aux animaux de la ferme.

— Nous réquisitionnons toutes vos denrées, prononça un des types.

— Vous ne pouvez pas faire ça, dit André. De quoi allons-nous vivre si...

Il ne put achever sa phrase, car un des types lui donna un violent coup de patte au visage – bien plus violent que ceux que donnait Mousseron. Alors je passai à l'attaque. Je contournai l'homme, et je le mordis agressivement au talon, sans relâcher ma prise. Avec ça, j'espérais qu'ils détaleraient tous vers là d'où ils venaient.

L'homme poussa un cri, et il se mit à secouer sa patte, mais je ne relâchai pas ma prise. Jusqu'au moment où je me pris moi aussi un violent coup de patte, qui me projeta à une bonne distance de là et qui me fit terriblement mal.

— Saloperie de chien ! s'exclama celui que j'avais mordu.

Un coup de fusil retentit, et ce fut cette fois-ci sur le museau que je me pris plusieurs graviers. Une fois de plus, à quelques coussinets près, je faillis voir ma vie s'achever à l'âge de trois ans. Mais face au danger, je compris que le prochain coup de fusil me serait fatal, alors, malgré la douleur, je courus à toute vitesse me mettre à l'abri dans l'étable. Et, en entrant dedans, j'eus une idée. Si je ne pouvais pas affronter ces sales types, je pouvais au moins sauver ce qui pouvait être sauvé.

Une vie de chienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant