Chapitre 16

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*

- Oh, cette messe était fantastique ! S'exclama Scott en sortant de l'église.

Sa femme remit sa longue écharpe comme il le fallait autour de son cou, et déposa un baiser sur le front de sa fille.

- Oui, il faudrait que tu y ailles plus souvent. Affirma Nina avec un grand sourire.

Elle était contente que son père soit venu avec elles.

Combien de fois avait-il manqué la messe ce mois-ci ? Malheur à lui, se disait-il. Il n'était plus un très bon pratiquant. Mais il était rassuré par sa femme, et par sa fille, qui lui répétait qu'il ne pouvait pas travailler et prier en même temps, et que Dieu le pardonnait. Après tout, il faisait le bien partout où il allait. Il pouvait bien faire quelques erreurs par moment, il n'était pas un prophète. Juste un simple humain.

- Je vais saluer Madame Grey, je vous retrouve dans la voiture. Prévint Maria, en se dirigeant vers la tante des frères Shelby, assise sur un banc à fumer.

Polly Gray était très belle. Malgré son âge, elle gardait une silhouette fine, une peau relativement lisse, et un corps athlétique. Ses grands yeux marron analysaient avec attention, et avec fermeté, les petits éléments que personne ne voyait. Elle était de ses femmes au caractère dur, mais tempéré, et profitait de sa sagesse. Son expérience de vie, qui n'avait pas été sans mal, lui avait distribué les outils nécessaires pour à présent tout réussir.

Elle élevait au mieux ses quatre neveux ainsi que sa nièce, les conseillait, à défaut de ne plus avoir ses deux enfants. Elle était une bonne amie de Maria.

- Maria, c'est un plaisir de te revoir. Sourit-elle en se levant de son banc pour saluer sa vieille amie.

Elles parlèrent de la pluie et du beau temps pendant quelques minutes, rirent et prirent un peu de temps pour parler de Billy Kimber. Dans la famille Shelby comme dans la famille Martin, le grand Bookmaker était un sujet important. Quoique Scott Martin lui accordait peut-être un peu moins d'importance que Thomas Shelby. Pour lui, Kimber était surtout un client fidèle.

- Tommy est sur un petit nuage. Il est trop arrogant. Pesta Polly, en reprenant une cigarette entre ses lèvres.

- Il est encore jeune, il apprend, c'est normal. Tempéra Maria en souriant.

Son sourire était doux, Polly enviait parfois cette féminité qu'avait Maria. Elle était si bienveillante, et si pure.

- Il ne peut pas se tromper, sinon on va tous couler. Il baise à droit à gauche, sort de l'argent de nulle part ! Il est en contact avec des communistes.

Elle murmura ses dernière mots si bas que Maria eut du mal à tout comprendre.

- Des communistes ? Pourquoi Thomas s'intéresserait-il à eux ?

Polly serra les lèvres. Fallait-il tout dire, tout raconter ? Fallait-il se méfier, et tout garder pour soi ? C'était Maria, elle n'avait pas de raison de se méfier. Mais Polly ne pouvait se permettre aucune imprudence, et certainement pas lorsqu'il s'agissait de l'honneur de sa famille. Mais Maria ! Sa grande amie. Personne de plus sûre qu'elle.

Madame Gray, regarda à droite, puis à gauche, et chuchota à l'espagnol des mots choquants, une histoire abracadabrante.

- Oh, mon Dieu, est ce vrai ? Murmura Maria, choquée.

Polly hocha la tête, l'air grave.

- Viens manger avec nous ce midi, il y aura de quoi nourrir une bouche de plus. Il te faut tout me raconter !

La tante des Shelby refusa une première fois. Elle ne voulait pas embêter, et de plus, son neveu l'attendait chez eux. Mais devant l'insistance de la belle Maria, elle céda.

Elles rejoignirent Nina et Scott, qui ne semblèrent pas remarquer leur mine soucieuse, et tous s'en allèrent pour la ferme. Mon Dieu que j'ai faim, songea Nina.

*

Aliénor ne montra rien, elle ne raconta rien de son altercation avec Campbell. Il était certain qu'il n'était pas venu pour Monsieur Martin, mais bien pour elle. Que de misère ! Elle était prise au piège. La belle française ne pouvait plus y penser. Elle fit bonne impression durant le repas, devant les Martin et devant Polly, qui jetait quelques regards intrigués dans sa direction.

Vers le dessert, elle prétexta un mal de crâne, dû au froid, et monta dans la chambre qu'elle empruntait pour se dissimuler de l'indiscrétion de Birmingham. Le boulanger lui manquait presque.

Aliénor, cachée de tout le monde, privé de ses connaissances, de sa langue, de sa culture, et de tout, n'avait plus de priorités depuis longtemps. Elle n'était jamais stressée, ne pariait sur rien, n'avait pas de rendez-vous ni de routine. Elle vivait une vie simple, la vie d'un fantôme dont on ne voit que le voile. Un voile magnifique et fascinant, dont on demande la même beauté, mais qui cache une noirceur infinie.

La Rose Blanche n'était pas malveillante. Elle était juste folle. Ou du moins, elle pensait être folle. Elle avait parfois des pulsions, une envie de tuer, de casser quelque chose ou quelqu'un. La belle brune était en colère. Derrière la surface de cette mer si tranquille qui était la sienne, se cachait les abysses les plus sombres, les souvenirs torturés de chagrin, et d'effluves de sang.

Aliénor aurait pu le tuer. Ce flic de Belfast, elle l'aurait étranglé. Elle lui aurait arraché les yeux, l'aurait brûlé vif. Pendant qu'il parlait, avec sa langue de serpent, et ses yeux effroyables, elle aurait pu. Mais la belle s'est répétée : tu t'en fiches, ils ne valent rien, ils sont tous cons, aucune utilité.

Maintenant, la belle Française ne se sentait pas bien. Comme prise au piège, comme terrorisé par le fait d'oublier un rendez-vous. Elle n'avait pas eu cette sensation depuis trop de temps. C'est comme si elle apprenait à nager pour la première fois toute seule dans un océan où elle n'avait pas pied. Il lui fallait se détendre. Il lui fallait un homme.

- Aliénor, je t'ai gardé de la tarte aux pommes si tu veux.

Nina, n'ayant pas osé rentré, avait toqué plusieurs fois à la porte, mais son amie ne répondait pas.

- Je n'ai pas faim merci. Répondis la voix plate de la grande brune.

La porte était toujours fermée. Nina soupira, et fourra la part de tarte aux pommes de l'assiette d'Ali dans sa petite bouche. Tans pis pour elle, elle ratait une occasion.

- Nina entre s'il te plaît. Demanda la Rose Blanche, dont le ton froid résonna à travers la porte.

Elle glaça le couloir.

- Si c'est pour me dire que tu veux du gâteau, c'est trop tard, j'ai tout mangé.

Aliénor avait faim d'autre chose. Elle rit en apercevant son amie, les lèvres humidifiées de jus de pomme. On aurait dit une enfant. Pendant quelques secondes, la belle brune en oublia ses problèmes. Ils revinrent au galop, et son sourire s'effaça.

- Je dois aller à Birmingham, régale toi.

Promptement, elle saisit son long manteau, sa casquette bleue, et se retira de sa chambre, laissant la jeune Nina, perdue face à la complexité de son comportement. Il lui fallait venir dans sa chambre, puis elle la laissait là. Aliénor avait sûrement un souci.

Nina, pourtant, ne s'en préoccupa pas. Elle aurait du. Mais elle était bête. Elle comprendrait plus tard.

*

Peaky Blinders • La Rose BlancheWhere stories live. Discover now