Chapitre 8

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*

Aliénor était abasourdie. En plus d'être affreusement offensée et gênée, elle était abasourdie. Son estomac s'était complètement retourné et pas pour rien. Nina, en face d'elle, tentait de trouver des mots justes et doux, mais rien n'y faisait. Les traits tirés de la belle Française n'avaient jamais été aussi tendus et sévères.

Foudroyante, elle eut tout de même la force de ne pas s'énerver trop rapidement et d'attendre la fin du récit que la jeune rousse lui déblatérait. Son ton nerveux et aigu lui prouvait sa gêne. Mais dans une situation pareille, qui devait être la plus gênée ! Aliénor n'avait jamais été très tolérante. C'était d'ailleurs un de ses grands défauts. Elle ne supportait pas beaucoup de choses, ses nerfs craquaient vite, presque instantanément. Alors la Rose blanche se forçait à garder le contrôle total sur ce manque de tact trop vif à son goût et tentait d'oublier sa colère. Mais parfois, il fallait mieux que ça sorte.

Nina finit son discours à bout de souffle, comme si sa respiration s'était stoppée le temps qu'elle explique tout à la jolie brune.

C'est donc Aliénor qui prit la parole quand elle eut fini, faisant abstraction de son petit regard suppliant :

- Pour qui me prends-tu Nina ? Tu penses que je suis une pute ?

Dans un mouvement de sourcils désespéré, la belle rousse s'avança vers son ami avec un air coupable. Sa voix aiguë et innocente répondit :

- Ali, ne dis pas ça. Ne pense pas ça de moi, je t'en prie. Je... Je ne savais pas quoi faire. Et Monsieur Kimber en a besoin !

À l'entente de ce nom, Aliénor lui lança un regard assassin qui la fit retomber sur sa chaise. Son visage de nature sombre était devenu vert de rage et sa fine mâchoire s'était contractée. Ses yeux bleus d'habitude calmes et mélancolique s'étaient noircis et toisaient maintenant l'adolescente avec dégoût. Oui, c'était bien ça, du dégoût. Billy Kimber, encore lui ! N'avait-elle que son nom en bouche ? C'était pour ce fourbe qu'elle l'avait vendu. Aliénor tenta de se remémorer un jour où elle fut plus en colère encore qu'aujourd'hui, mais rien ne vint. Comment osait-elle la traiter ainsi ?

- Cesse d'utiliser ce ton d'idiote pour excuser tes bêtises Nina ! Je suis parti parce que je n'aimais pas la compagnie de ce Thomas Shelby, je n'étais pas bien au bal parce que son regard me mettait mal à l'aise et à présent, tu me vends à lui comme si, oui, j'étais une pute !

Nina ne l'avait pas vu comme cela. Quand Monsieur Shelby avait exigé un rendez-vous d'au moins deux heures avec son amie, sous peine de ne point se plier aux volontés du grand bookmaker anglais, elle n'avait pas vraiment réfléchi. Le contrat avec ce Peaky blinders de pacotille avait l'air si important pour Billy Kimber qu'elle ne s'était pas posé plus de questions. Quand on lui avait demandé si ce rendez-vous pourrait être fixé ou non, elle avait répondu oui. La jolie rousse regrettait amèrement à présent. Ses mots avaient été trop rapides, comme de coutume. C'est d'ailleurs Aliénor qui lui avait fait la remarque. Ou du moins, c'était la seule qui avait osé. Réfléchis à ce que tu vas dire avant d'ouvrir la bouche, ça t'évitera d'être ridicule. Elle aurait dû l'écouter. Mais le bonheur de Monsieur Kimber avait été plus important, plus important. L'adolescente en avait affreusement honte.

Elle avait bien senti que ce n'était pas forcément la bonne décision. Son cœur avait été lourd après. Gorgé de remords et d'appréhension. En dépit de cela, le sourire de Kimber lui avait semblé plus cher sur l'instant que le confort de son amie.

En la lorgnant d'un air inquisiteur et particulièrement intimidant, Aliénor continua de sortir sa colère :

- Billy Kimber ne t'aime pas, j'espère que tu en air consciente. Et si par mégarde, ce n'est pas le cas, sache le Nina... Il ne t'aime pas.

Elle avait craché ses mots avec une telle violence que les larmes de la petite s'étaient mises à couler instantanément. Ses mots durs et honnêtes l'avaient complètement ébranlée. Aliénor n'avait pas le droit de dire ça. Comment le pouvait-elle ? C'était injuste !

Nina se sentit piquée au vif, elle voulait riposter. Que savait-elle de la relation qu'elle et Billy Kimber entretenaient ? Elle était peut-être jalouse ? Mais elle n'en fit rien. Elle se tut et baissa la tête. En fait, elle n'osait pas. Elle n'osait pas répondre quoi que ce soit. Sa gorge était trop sèche, elle avait trop parlé.

- Il est hors de question que j'aille à ce rendez-vous ! Cracha la Rose blanche.

*

Sur le chemin du retour, Aliénor s'était contentée de ses pieds pour rentrer chez elle, dans son vieux galetas minuscule. Elle n'avait pas arrêté de repenser à ce que son amie lui avait dit. Son amie... Pouvait-on réellement appeler ça une amie ? Nina n'avait pas voulu être méchante, la belle Française le savait. Mais elle avait été bête. Et Ali préférait de loin la méchanceté à la bêtise. Son raisonnement était tellement absurde. Durant quelques secondes, la jolie brune avait tenté de trouver une excuse à l'adolescente, se disant que ce n'était pas si terrible et qu'elle pourrait surmonter cela, que cet ouvrier insupportable l'avait menacé et qu'elle n'avait pas eut le choix. Mais non. Rien de tout cela. Rien de tout ce qu'Aliénor s'était fourré dans le crâne n'était vrai. Nina avait fait ça pour une seule personne : Billy Kimber. Alors, non, la jeune rousse n'avait pas d'excuse. Elle avait été égoïste. Pour la simple raison qu'elle voulait se faire bien voir par celui qu'elle admirait. C'était complètement impensable, pourtant, c'était vrai.

Et mine de rien, cela avait été un vrai coup de massue pour la Rose blanche. Ça l'énervait profondément, mais ça l'inquiétait aussi. Elle n'était pas obligée tout de même ! Si elle avait décidé que c'était non, ce serait non. Mais rien n'était plus cohérent. Le rendez-vous avec ce Peaky n'était plus un mauvais souvenir, c'était à présent un devoir insupportable. Aliénor se sentait contrainte de le faire et elle ne comprenait pas pourquoi. Ce qui la faisait fulminer ardemment. C'était comme si, cela l'attirait. Elle n'appréciait guère Thomas Shelby. cependant, elle prit le temps d'y réfléchir. Elle y réfléchis. Cette pensée était nouvelle. Elle hésitait. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas raisonner comme cela. Et la dernière fois qu'elle avait hésité, tout avait basculé. Et si elle faisait le mauvais choix ? Et si son choix mettait en danger Nina ? Malgré le fait que la jeune rousse l'avait en effet dessus, la Rose blanche craignait pour elle. Elle craignait que, comme pour son frère, Nina paye le prix de son doute. 

Tête baissée, elle avançait dans les rues sombres de Birmingham, le vent était affreusement froid et l'eau de la pluie avait inondé ses chaussures et ses chaussettes. En tournant sur une petite ruelle adjacente à celle dans laquelle elle se trouvait précédemment, une voix l'interpella, une voix d'enfant :

- Mademoiselle, voulez vous faire un tour dans ma voiture ?

*

Peaky Blinders • La Rose BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant