Aucune inflexion dans sa voix. Comme toujours. Pourtant, j'aurais bien eu besoin d'un peu de compassion.

— N'as-tu donc jamais peur de mourir ?

Je n'ai pas besoin de continuer pour que Kaylan saisisse à quoi, ou plutôt à qui, je fais allusion. La mort de ses mères a dû laisser une marque indélébile sur son cœur.

— Je ferai ce qu'on attend de moi et ce que mon devoir m'impose. La seule certitude que j'ai, c'est que je ne mourrai pas sans me battre.

Il s'arrête une seconde, le temps de capter mon regard, et ajoute :

— Si c'est la mort qui vous effraie autant, soyez assurée que je vous protégerai au péril de ma propre vie. Je vous ai entraînée dans cette histoire contre votre gré, je refuse que votre histoire à vous s'arrête à cause de moi.

— Tu...

Kaylan ne me laisse pas le temps de finir.

— Un candidat qui perd son âme-sœur est directement éliminé de la compétition. Vous pourrez retrouver votre liberté et votre vie. Évidemment, je ne souhaite pas que cela se passe comme ça. En tous les cas, je ferai mon possible pour que vous ressortiez de ce labyrinthe vivante et entière, que ce soit avec ou sans moi.

Je me retrouve incapable de répondre. Des sentiments contradictoires s'agitent en moi mais le plus puissant de tous repose sur une seule certitude : je ne veux pas perdre Kaylan. Je ne peux pas. Malgré tous mes efforts pour éliminer mes émotions de l'équation, je dois me rendre à l'évidence : je me suis bien trop attachée à mon âme-sœur pour accepter le futur qu'il me présente.

Je sais que Kaylan ressent tout cela aussi, à travers notre lien. Je suis consciente qu'il perçoit tout ce que je ressens à ce moment précis et le pire, c'est que je m'en fous complètement. Au contraire, je veux qu'il sache. Aussi, je me force à lui répondre :

— Je crois que la sécurité peut être une forme de liberté immense, si elle repose sur une personne et non sur un lieu. La liberté, c'est savoir et pouvoir se sentir bien, qu'importe là où l'on va. C'est se savoir en sécurité, quoi que l'on fasse. Je ne peux pas accepter que celui qui représente ma sécurité disparaisse. Je ne peux pas accepter de perdre ma nouvelle liberté.

J'accroche mon regard à celui de Kaylan, qui reflète une palette d'émotions trop volatile pour que je parvienne à les saisir par-dessus les miennes. Nos chevaux avancent ensemble, insensibles aux mots qui essaient de se frayer un chemin entre leurs deux cavaliers.

Après quelques minutes, Kaylan reprend la parole :

— Vous ai-je déjà dit combien vous savez manier les mots, Aaliyah ?

Sa voix chaude, qui s'enroule aussi aisément autour de mon prénom, m'arrache un frisson. Oui, il me l'a dit une fois. Cependant, entre ses lèvres, les mots ont une telle puissance que les miens font bien pâle figure en comparaison et j'ai envie de l'entendre le redire des dizaines de fois.

— Je crains que ce prétendu talent n'excède pas le tien.

Un léger sourire étire ses lèvres. Une barrière vient de tomber.

— Pourtant, vous apportez un tout autre visage à la liberté. Si j'avais déjà songé que la sécurité devait reposer sur un être, je n'avais jamais envisagé sérieusement que cette personne puisse être une autre que moi.

— Comment ça ?

Son regard se perd devant nous. Il n'esquisse pourtant pas un geste pour remettre sa monture dans sa position de départ et reste chevaucher à côté de moi. Si près parfois que nos jambes manquent de se frôler.

— Être libre, c'est trouver sa liberté en soi-même. C'est, ou peut-être était-ce, la seule façon à mes yeux d'être véritablement libre. S'attacher trop fort à une autre personne que soi, c'est risquer de planter trop profondément ses racines quelque part pour reprendre sa route.

Je hoche la tête, essayant de faire du tri dans toutes ces réflexions pour ne pas focaliser mon attention sur sa présence à quelques centimètres de moi.

— Je vois que mes idées vous troublent encore.

Je tourne la tête vers lui et nos regards se croisent un court instant avant que je ne me détourne. Assez longtemps pourtant pour que ses pensées me parviennent clairement : « Cette fille sera assurément celle qui me fera perdre ma liberté. »

— Vous ne devriez pas vous tracasser tant. Nous arrivons bientôt au camp, vous pourrez en discuter avec mon frère. Il saura sans doute mieux vous parler que moi.

Si aucune amertume ne perce dans sa voix, je la sens pourtant pulser à travers notre lien. Je ne peux m'empêcher de détailler la puissance de ce sentiment qu'il me transmet et de réaliser à quel point nous nous sommes effectivement rapprochés durant ces quelques jours. Nous retrouver seuls tous les deux a renforcé notre lien et ce bien plus que je ne l'imaginais. Percevoir les pensées de Kaylan est une idée avec laquelle j'ai encore du mal. Pourtant, je suis certaine que la dernière idée que j'ai perçue de ne pas être mon fruit.

Je ne peux pas croire que Kaylan considère sérieusement que je pourrais lui faire perdre sa liberté. Je n'ai aucun poids, aucun argument, je ne pèse certainement pas assez dans son cœur pour lui voler cela. Nos points de vue divergents sur la question de la liberté n'y changent rien. Son indépendance, il l'a acquise il y a bien longtemps de cela et elle est certainement bien ancrée en lui, contrairement à moi.

Consciente de mon trop long silence, je lève les yeux dans sa direction mais il détourne la tête au même instant. D'un geste du menton, il désigne un point grossissant face à nous.

— Nous sommes bientôt arrivés. Tâchez de profiter de cette dernière soirée, vous aurez besoin de tous les meilleurs souvenirs pour affronter ce qui nous attend ensuite.

~~~

Que celleux qui veulent un Kaylan dans leur vie lèvent la main ! 🙋‍♀️🙋‍♂️🙋

Non, sérieusement, est-ce que c'est autorisé de parler aussi bien que ça, d'abord ? J'ai un doute, moi. (Je sais, c'est moi qui écrit, n'en disons rien.)

J'avoue avoir un faible pour ces chapitres où les langues se délient et que mes personnages évoquent des sujets sensibles pour eux. La façon dont Kaylan écoute Aaliyah, lui répond, chasse ses ses doutes... Bref, je fonds et j'espère que vous aussi !



Corps à CoeurWhere stories live. Discover now