Soixante-septième

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La journée avait mal commencé, tout comme la séance s'était mal terminée. La thérapeute s'était sentie gênée de nous laisser repartir comme ça, alors qu'une tension émanait encore de nous, plus forte encore que lorsque nous étions entrés dans son cabinet. Elle n'avait pourtant pas eu d'autres choix.
Depuis que je lui avais dit ses quatre vérités, Adam ne me parlait plus. Il était resté distant, ce que j'appréciais grandement. Le problème était qu'à présent, nous devions encore tenir deux jours dans le même appartement avant qu'il ne reprenne le travail. La seule chose que je voulais le plus à l'instant même était de m'isoler dans une pièce et d'oublier ma vie. Pour une fois depuis un certain temps, j'avais envie de dessiner, je visualisais déjà mon futur dessin, alors je n'avais qu'une hâte, enfin rentrer.
Moins de dix minutes plus tard, je foulai le tapis de l'entrée, me dévêtant de ma veste ainsi que de mes chaussures, je passai rapidement chercher une bouteille d'eau ainsi qu'un paquet de gâteaux et de quelques chips dans la cuisine. Je jetai le tout sur le lit après avoir fermé la porte, puis je m'installai derrière le bureau, mon crayon de papier en main, mon carnet devant moi, ma musique relaxante percutant les murs, je n'attendis pas plus et me lançai.
Chantonnant tout en avalant quelques fois un peu de nourriture, mon dessin prit peu à peu forme au fil des heures. Bientôt se dessina sur cette feuille auparavant vierge, un magnifique jardin aux différentes fleurs, un oiseau parcourait le ciel, proche de mon point de vue, derrière lui se cachait le soleil. Il n'y avait personne. Cet endroit était secret, c'était celui de mes pensées, le mien en quelques sortes. J'arrivais à y imaginer une vie sereine que je n'aurais pas la chance d'avoir. Dans cet endroit paisible, des rires auraient pu se faire entendre, une famille aussi heureuse qu'unie aurait pu de leur pied fouler cette herbe verte, mais personne n'était à l'horizon. Ils n'auraient pas la chance d'observer les vives couleurs des fleurs, d'en sentir les merveilleuses effluves, ni de profiter de l'ombre fournie par les arbres, ou encore d'entendre le chant des oiseaux. De mon regard mélancolique, j'attrapai une couleur, c'était le moment de rendre cet endroit aussi beau qu'irréel.
Je soupirai en m'étirant doucement. Ma nuque me faisait mal à force de garder la tête baisée ainsi. Depuis combien de temps j'avais commencé ? Malgré les nombreuses chips que j'avais avalé, mon ventre criait toujours autant famine. Alors je buvais, pour essayer d'échapper à la faim qui me rongeait. Je ne souhaitais pas prendre le risque de sortir pour croiser mon frère. Comme s'il avait su que j'avais faim, je l'entendis toquer très fort à ma porte, sa voix s'éleva alors au-dessus de ma musique.

-Il est déjà 13h30, je t'ai préparé une crêpe, elle est entrain de réchauffer, je ne sais pas si tu la veux.

« Il prend quand même soin de nous, même après les choses blessantes que tu lui as dit. N'oublie pas que tu n'es pas le seul à souffrir de cette situation Nao. »
«
On aurait pourtant pu l'éviter, cette situation. »
Une délicieuse odeur de fromage fondu réussit à passer la barrière qu'était ma porte. Elle tirailla douloureusement mon ventre, réveillant ma faim qui s'était endormie au fil du temps. La crêpe, elle, n'avait rien fait, je pouvais bien me laisser tenter.

-Hm, ouais, je la veux bien
-Je te l'apporte.

J'entendis ses pas s'éloigner, ma musique s'était terminée. Je reposai le crayon que je tenais, faisant une place pour l'assiette sur le coin du bureau. Je n'eus pas à attendre longtemps avant d'entendre la porte s'ouvrir. J'évitai de regarder le visage de mon frère, restant silencieusement assis. Mes yeux trouvèrent bien rapidement la crêpe dégoulinante de fromage que je ne tarderai pas à avaler avec joie. Mais même lorsque l'assiette fut posée à côté de moi, il resta immobile. Abdiquant finalement, mes yeux remontèrent vers les siens, il ne me regardait pourtant pas, fixant la commode. C'est vrai qu'il n'aimait pas vraiment cette pièce, je me sentais pourtant bien ici, mieux que dans sa chambre à lui, là où ils avaient fait toutes ces choses. Il se racla la gorge, reprenant soudainement vie.

Toi, moi...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant