6 - Phœbe : I knew you were trouble

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Le vent frais annonçant la fin de l'après-midi fait s'envoler le sable. Des grains viennent se glisser entre les pages de mon livre, et je peste doucement. Me redressant, je secoue mon manuel sur la tomodensitométrie du cœur, tentant tant bien que mal de les en dégager. Cet ouvrage est excessivement long, et excessivement dense. Ainsi affalée sur ma serviette, j'espérais que le feuilleter sur la plage m'aiderait à rendre la tâche plus agréable, mais je me trompais. Voilà bien dix minutes que je relis la même ligne. Aujourd'hui, pas même le bruit des vagues n'arrive à me vider la tête... Je suis hantée par le souvenir de Connor, par la vision de ses lèvres plaquées avec ardeur sur celles de cette jolie fille, dans ce bar de la plage de Cairns. J'ai capturé la scène avec une précision qui n'a d'égale que la douleur inconnue que j'ai ressentie dans ma poitrine à cet instant. Je revois ses mains dans ses cheveux blonds et ondulés, puis sur ses hanches, peau contre peau. Je revois ses doigts, frôlant sa robe en maille d'un contact taquin, qui dissimulait à peine son bikini.

Un frisson remonte mon échine et je secoue la tête. Mon cœur bat à toute vitesse. Phoeb, tu es ridicule. C'était il y a une semaine.

Je ferme les yeux, inspirant profondément. Je tente de me concentrer sur le bruit des vagues, sur leur caresse régulière du sable, sur la douceur de la houle, sur l'air iodé et la chaleur des derniers rayons du soleil sur ma peau. D'habitude, ces sensations suffisent.

Mais à peine ai-je fermé les yeux que les images réapparaissent derrière mes paupières, comme un spectacle infernal. Sauf que cette fois... cette fois le visage de cette fille change. Je rouvre précipitamment les yeux. Le rouge me brûle les joues, et je m'empresse de reprendre mon livre en main, rajustant avec maladresse mon sweat-shirt remonté sur mes cuisses.

Stop. Arrête ça tout de suite.

J'inspire un grand coup, et me replonge dans le livre. Les mots défilent devant mes yeux, incompréhensibles — retentissement myocardique, cardiomyopathies, valvulopathies, myocardites et péricardites — et après vingt minutes d'acharnement, l'hypothèse que mon cerveau ne soit plus qu'un tas de cendres est devenue évidente.

Un rire près de moi me fait relever la tête.

Deux silhouettes remontent vers la plage, à contre-jour. Je ne tarde pas à reconnaître Connor flanqué de Tyler, tous deux leur planche sous le bras. Les gouttes d'eau qui roulent sur leur torse, alors qu'ils s'extraient de l'eau, réfléchissent la lumière chaude de « l'heure d'or ». Je me pétrifie. Je pensais être seule. Depuis quand sont-ils sur la plage ? Pourquoi ne les ai-je pas vus dans l'eau ? Et pourquoi n'ont-ils pas surfé devant la cabine de plage, comme d'habitude ?

Les questions s'évanouissent, alors que leur image se dessine et que respirer devient de plus en plus difficile. Je devrais détourner les yeux — je le sais. Mais j'en suis tout bonnement incapable. C'est Connor qui a ri. Son sourire dévoile ses dents blanches, en même temps que les discrètes fossettes sur ses joues bronzées et parsemées de sable. Il secoue ses cheveux, et y passe la main pour les ramener en arrière ; c'est peine perdue, car ceux-ci retombent immédiatement sur son front. Distraitement, il s'amuse à faire passer sa planche d'un côté et de l'autre de son torse, et la facilité avec laquelle il le fait me laisse perplexe, comme si l'objet ne pesait rien. Je me sens rougir alors que mon regard glisse sur les muscles de ses bras et de son buste, qui ondulent et gonflent alors qu'il se meut avec agilité.

Quand il redresse la tête, en plein fou rire, ses yeux rencontrent les miens. Je me fige, aussi horrifiée que si j'avais été prise en train de faire une bêtise. Son propre sourire faiblit, et les secondes s'allongent — à moins que ce soit lui qui n'ait ralenti le pas, comme s'il n'était plus sûr d'où il voulait aller ni même du pourquoi il était sorti de l'eau. Il s'écoule un moment de flottement, avant que je ne détourne violemment la tête, presque à bout de souffle. Quand je redresse les yeux, honteuse, il s'est déjà détourné, en se dirigeant vers la cabane de rangement. Je résiste à la tentation de le suivre du regard, quand la voix de Tyler m'interpelle, plantant sa planche dans le sable :

Follow your fireWhere stories live. Discover now