1 - El : Falling apart

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Je décoche mon sourire le plus ravageur, mes yeux revolver transperçant l'objectif. Mes mains épousent mes formes, mettent en valeur la nouvelle collection d'Evanescence, la marque de lingerie qui cartonne en ce moment, et dont je suis l'égérie. L'appareil devant moi émet de petits clics clics incessants, garants d'une pellicule photo bien remplie. L'éclairage ne m'éblouit même plus, et l'effervescence du studio ne m'atteint pas. Je me sens belle, forte ; non seulement parce que l'équipe m'observe d'un regard envieux et admiratif, mais aussi, car dans moins d'une demi-heure, je vais revoir Luka. Quand je pense qu'Emy m'a collé ce shooting « de dernière minute » alors que je sortais à peine de l'avion ! Je ravale mon agacement, et frétille d'impatience en m'imaginant la tête qu'il tirera quand il me verra débarquer dans l'appartement... Il n'est pas au courant que j'ai écourté mon shooting à New York, censé durer trois semaines. Me voilà un jour en avance, et avec notre emploi du temps surbooké, les quelques heures que j'ai pu gagner en seront d'autant plus précieuses. Je le vois trop peu, et je sens notre couple fragile. Ce soir est l'occasion de rattraper le coup.

Nathan, le directeur du shooting, surveille le travail du photographe d'un œil expert. Il ne cherche même pas à me donner de conseils quant à la pause à adopter : à force, je connais mon meilleur profil, les positions qui mettent en valeur mes courbes, et tout ce qui fait de mes prestations les meilleures qui soient dans le milieu. J'enchaîne, ne laissant aucune place à l'hésitation, si bien que le shooting est bouclé en une demi-heure.

— OK tout le monde, on a terminé pour aujourd'hui !

Je soupire de soulagement, dissimulant du mieux que je peux ma fatigue ; le décalage horaire entre Paris et New York commence sérieusement à me peser, et je n'ai qu'une hâte, prendre un bon bain chaud et me glisser sans la couette entre les bras de mon petit ami.

On m'apporte un peignoir, tandis que je m'assois pour que l'on puisse m'enlever mes talons et les remplacer par des pantoufles. Une jeune femme m'apporte une bouteille d'eau, et je la remercie d'un hochement de tête. Je respire, résistant à l'envie de me frotter les yeux et de me démaquiller sur le champ ; il ne manquerait plus que deux traînées de mascara noircissent mon visage. Le maquillage peut faire des miracles, mais la fatigue dans mes prunelles n'en reste pas moins visible.

J'aperçois alors ma manager, qui pénètre dans la pièce. Vêtue de son éternelle jupe crayon blanche et de sa chemise en soie bordeaux, Emy est au téléphone et ne semble pas m'avoir remarquée. Je souris en apercevant ses cheveux, qui partent dans tous les sens. Il faut dire que c'est la saison des plus grands événements, et que mon emploi du temps se remplit de jour en jour. La pauvre, non seulement je lui demande beaucoup de travail, mais en plus je lui en fais voir de toutes les couleurs... on ne peut pas dire que je sois quelqu'un de très docile.

Un sourire en coin, presque diabolique, je m'approche à petits pas de la jeune femme, de cinq ans mon ainée — elle est presque comme une sœur pour moi. De dos, elle ne me voit pas arriver, et alors qu'elle raccroche, je viens lui susurrer un « Salut » qui la fait sursauter.

— Éléonore Victoire Leutellier. Je te prierai d'avoir un minimum de compassion pour ma tête qui ne va pas tarder à exploser.

Je retiens un rire, et m'exclame :

— Tu l'as mérité ! J'ai perdu une heure avec Luka, à cause de toi. (Elle lève les yeux au ciel, mais esquisse un sourire complice.) La voiture est prête ?

— Oui, Charlie t'attend en bas.

Je hoche la tête, et lui indique par-dessus mon épaule que je pars me changer. Elle ne m'entend pas, à nouveau au téléphone.

Je sors de l'immeuble, entourée de François et Lary, mes deux gardes rapprochés. Il est seize heures : le soleil commence à se coucher, la lumière est déjà bien moins forte qu'il y a dix minutes. Une brise soulève une mèche de mes cheveux blonds et vient caresser mes lèvres ; elle est fraîche, digne d'un mois de février.

Follow your fireWhere stories live. Discover now