II

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On reçut dès le lendemain une visite qui eut le mérite de ravir tout le monde. Mr Stephens et son ami Mr Dixon se présentèrent chez le colonel durant la matinée. Les dames ne s'attendaient manifestement pas à recevoir de visiteurs, car elles avaient mis leurs chapeaux pour sortir et une servante - qu'on avait pris à son service sur place - les informa que deux gentlemen venaient de frapper à la porte. Catherine n'eut aucun mal à deviner qu'il s'agissait des messieurs qu'on avait rencontrés la veille, car personne n'avait parié sur la venue de Mr Osborne qui aurait dû se lever de son fauteuil et se traîner jusqu'à chez eux.

Mrs Campbell put donc faire la connaissance du gentleman irlandais, qui à l'évidence avait particulièrement plu à sa fille la veille. Ces messieurs s'excusèrent, car manifestement leurs hôtesses avaient prévu de sortir et ils les avaient dérangées. Mrs Campbell ne s'en formalisa point et invita les deux messieurs à se joindre à leur promenade. Mr Stephens et Mr Dixon acceptèrent et on partit dans la foulée.

Catherine ne rencontra aucune difficulté à accaparer l'attention de Mr Dixon, qui semblait préférer la fille des Campbell à Jane. Celle-ci discutait d'ailleurs avec Mr Stephens. Mrs Campbell, quant à elle, suivait les deux couples tout en les observant avec ravissement. Elle put entendre quelques bribes des conversations des quatre jeunes gens. Mr Dixon, apparemment, possédait un domaine en Irlande, ce qui ne manqua pas d'émerveiller Catherine. Elle jugea néanmoins la discussion de Jane et de Mr Stephens moins exaltante. Le neveu de ses amis faisait le récit des affaires qu'il avait dû régler pour le compte de son beau-frère, le maladif Mr Osborne, mais Jane ne manifesta pas son ennui et l'écouta avec docilité. Mrs Campbell, rassurée sur les intentions que semblait porter Mr Stephens à Jane, préféra néanmoins tendre l'oreille vers la conversation du premier couple qui l'intéressait davantage, mais elle fut interrompue par Mr Stephens. Ce gentleman lui demanda si elle connaissait le Hertfordshire, et elle lui répondit qu'elle y était sûrement passée en voiture avec son époux à une époque très lointaine.

- Je pourrais presque croire que vous êtes tombé amoureux du Hertfordshire, Mr Stephens, le taquina Jane. Vous n'avez plus que le nom de ce comté à la bouche depuis que je vous ai revu hier.

- Ne vous moquez pas, Miss Fairfax, rit le gentleman. Ce séjour à la campagne et mon arrivée ici vous font voir tel que je suis réellement : un homme simple qui aime les coins de nature et respirer un air vivifiant.

L'observation de Jane était juste. Mr Stephens avait été transformé par les semaines qu'il avait passées en-dehors de Londres. Loin de l'agitation de la capitale et de ses mondanités, il avait gagné une certaine sérénité et ses manières étaient bien plus engageantes.

- Il ne faut pas non plus écouter les préjugés de ma sœur sur le Hertfordshire. La vie qu'on mène dans ce comté est bien plus simple - et beaucoup plus agréable - que celle qu'on peut avoir à Londres. On ne se soucie pas de certains détails dont on fait grand cas à Londres. J'ai rencontré des gens qui n'auraient certainement pas osé m'approcher en ville. Certes, certaines de ces personnes ont des manières risibles, dit-il en songeant certainement au pasteur et à sa cousine, mais on retrouve des attitudes similaires chez des gens très fortunés dont personne n'oserait se moquer et dont on entretient en permanence la vanité.

Jane ne put que souscrire au propos de Mr Stephens. L'attitude de Miss Stephens, songea-t-elle, était bien hypocrite. Depuis des mois, elle côtoyait au quotidien des personnes qui se prêtaient indéniablement à ses critiques sévères et moqueuses de la nature humaine. Sa sœur Mrs Osborne était une femme risible et vulgaire, tandis que son beau-frère était dénué d'intelligence et de jugement. Pourtant, aucun des deux n'avait été l'objet des railleries et du mépris de Miss Stephens, qui était si prompte à mépriser des personnages qu'elle jugeait indignes de faire partie de ses connaissances car leur rang était inférieur au sien.

JaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant