LIVRE I: I

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Jane Fairfax, une jeune femme belle, intelligente, vivant dans une maison douillette de Londres, dotée de nombreux talents, semblait avoir eu toutes les fées penchées au-dessus de son berceau. Elle allait atteindre sa vingt-et-unième année après avoir connu quelques mauvais coups du sort.

Pourtant, la venue au monde de la petite Jane Fairfax avait été considérée comme une grande félicité à Highbury, un village du Surrey à seulement seize miles de Londres. Fille du lieutenant Fairfax, promis à une grande et belle carrière militaire, et de son épouse, la cadette du pasteur de Highbury, l'existence de Jane s'annonçait radieuse, mais la Fortune en décida autrement.

Alors qu'elle était âgée de quelques mois, le père de Jane fut rappelé par son régiment d'infanterie et fut forcé de quitter l'Angleterre et son confortable foyer pour une guerre lointaine et incertaine. L'absence de son père, aussi affectueux et aimant qu'il pût l'être, ne manqua pas à la petite Jane qui n'était encore qu'un nourrisson caressé par les mains et bercé par les bras de sa mère, de sa grand-mère et de sa tante.

Quand Jane sut se tenir sur ses jambes et faire quelques pas, mais aussi quand elle commença à ravir ses proches avec ses doux babillages, une terrible nouvelle s'abattit sur le presbytère de Highbury, où demeurait la famille Bates. Durant un bel après-midi d'été, alors que Jane se trouvait dans le jardin du presbytère en compagnie de sa tante et de sa mère, un messager apporta un exprès : le lieutenant Fairfax avait trouvé la mort au champ d'honneur.

Mrs Fairfax, connue de tous pour être une jeune femme ravissante, douce et vive, devint une ombre et ne quitta plus sa chambre. Parfois, il lui arrivait de réclamer sa fille, et l'enfant ne comprenait pas pourquoi sa mère l'appelait sa pauvre enfant ou bien sa pauvre petite, ni même pourquoi le visage de sa mère, qui était si lumineux et si éclatant, était à présent terne, maigre et inondé de larmes.

Durant l'hiver qui suivit la perte du lieutenant Fairfax, sa veuve contracta la tuberculose. Malgré les soins répétés de Mr Perry, l'apothicaire de Highbury, et après une longue agonie, la mère de Jane quitta ce monde au printemps. Jane venait d'avoir trois ans et elle n'était plus qu'une orpheline, le seul fruit d'une union qui aurait dû être florissante.

Pendant un peu plus de deux ans, Jane grandit au presbytère auprès de la famille de sa mère qui la choyait. Hélas, un autre événement assombrit l'existence de la petite Jane Fairfax et parsema de difficultés le quotidien des Bates. Mr Bates, son grand-père et le pasteur de Highbury, mourut soudainement après avoir célébré l'office du dimanche à l'église. La famille Bates dépendait en grande partie des revenus du presbytère et il lui fallut le quitter pour un logement bien plus petit. Il s'agissait d'une maison située dans la rue principale de Highbury, qui appartenait à des commerçants. Les dames Bates et Jane y occupaient au premier étage un petit appartement, tandis qu'au rez-de-chaussée les propriétaires tenaient leurs boutiques. La petite fille comprit alors - du haut de ses cinq ans - que sa vie serait d'être pauvre et qu'elle ne quitterait jamais ce petit appartement mal chauffé et encombré.

En dépit de leur revers de fortune, les dames Bates et leur petite Jane étaient toujours des personnes très appréciées à Highbury. On ne manquait jamais de leur rendre visite, de les inviter et de leur apporter quelques mets appréciables pour les soulager de dépenses onéreuses qu'elles ne pouvaient plus se permettre.

Jane Fairfax n'était pas la seule fillette à grandir à Highbury et ses environs. Il y avait tout près de ce village, un ravissant domaine, connu sous le nom de Hartfield, qui était la propriété d'un riche gentleman, Mr Woodhouse. Ce riche homme était veuf depuis peu et avait deux filles : Isabella et Emma. Il avait alors engagé une gouvernante, Miss Taylor, qui s'occupait des deux fillettes. La dernière, Emma, avait le même âge que Jane et on s'évertuait depuis toujours à les rendre amies. Mais Emma Woodhouse et Jane Fairfax avaient des caractères très différents : l'une était vive et capricieuse, tandis que la seconde était calme et réservée. Emma jugeait que Jane n'était pas une compagne de jeux convenable et suffisamment amusante et Jane aimait mieux jouer seule. Malgré leur indifférence mutuelle, les adultes persistaient à dire que les deux petites filles étaient de très bonnes amies :

JaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant