Une dernière course

8 1 0
                                    

« Il le faut, votre Altesse ! »

L'homme qui avait dit cela, un Hylien entre deux âges et légèrement dégarni, n'arrivait tout de même pas à soutenir le regard de la princesse en face de lui, malgré le ton impératif employé. Il semblait avoir chaud, et pourtant ils se trouvaient dans la salle du conseil, connue pour son froid glacial en ces journées d'hiver. Zelda soupira, laissant échapper un nuage de buée et ajustant ses chauds habits le temps de trouver quoi dire.

Oui, il le fallait, elle le savait, ses conseillers le savaient, ses sujets le savaient, tout le monde en fait était conscient qu'il fallait bien qu'elle trouve un mari un jour. Le Royaume était, justement, un royaume et non une principauté, et bien que Zelda, en tant que princesse royale était tout à fait légitime à régner, un mariage apporterait un Roi à ses côtés, la permettant d'être couronnée Reine elle aussi, et, évidemment, cela serait un pas vers l'obtention d'une descendance mettant ainsi fin aux nuits d'angoisse de certains membres du conseil qui paniquaient de la voir risquer sa vie sans personne à qui confier le Royaume après.

Un mari, puis une fille, voilà l'objectif de tous dans la pièce. Enfin, sauf la Princesse elle-même, apparemment. Toujours, elle trouvait des excuses pour se soustraire à son rôle. Ou plutôt, elle utilisait son rôle de dirigeante hors pair pour échapper à son rôle de dernière survivante de la lignée féminine de la famille royale. Il fallait, affirmait-elle, résoudre les problèmes de logement dans la capitale dévastée. Ou encore, défricher les fermes abandonnées lors de la guerre pour assurer la subsistance. Ou bien faire le tour du monde et aller à la rencontre de toute figure d'autorité plus ou moins proéminente des environs pour s'assurer que la paix arrivée allait rester en place. C'étaient de bonnes excuses, voire même de bonnes raisons, d'échapper aux nombreux bals mondains organisés par sa cour et esquiver les non moins nombreux prétendants à sa main. Après quelques temps, les demandes avaient cessé et la noblesse, résignée, avait fini par renoncer à marier la princesse.

Mais, après dix ans de reconstruction de son royaume, à s'occuper de tous ses problèmes et les régler méthodiquement un à un, tous étaient revenus à la charge, car, il fallait bien l'avouer, Zelda avait fait un travail énorme. Si énorme qu'elle commençait à pouvoir enfin souffler et se reposer. Le château était presque fini, et seules les finitions – sculptures, tours et autres flèches – restaient à terminer. La base de la tour du Sceau ainsi que la formation de ses gardes était elle-aussi achevée, et même si l'achever aller prendre encore une bonne décennie vu le nombre de monstres apparaissant régulièrement sur le chantier, rien ne laissait penser que le Démon allait se libérer dans les années à venir. La famine avait été évitée, l'armée réorganisée, les Zoras, Gorons, Kokiris rassurés et leurs liens avec le Royaume réaffirmés sans aucune effusion de sang, et, le plus important, les Gerudos avaient été invitées à parcourir le pays.

Ce dernier point avait causé de nombreux soucis à Zelda, car la population proche de la Vallée avait de très mauvais souvenirs de l'époque où celles-ci venaient ravager leurs bétails. Mais, à force de contacts et surtout de commerce, elles avaient fini par être acceptées et il n'était pas rare de voir une femme traîner une de leurs montures de trait (une sorte d'âne mais résistant à la chaleur du désert) sur les chemins de la plaine, ou bien tenant un étal dans un marché Hylien. Encore plus important que les vols de bétail, les rapts d'hommes avaient cessé, et même quelques mariages avaient eu lieu. Cela était assez récent, et donc personne ne savait comment allaient évoluer les mœurs de ses sujets.

Toujours était-il que beaucoup, beaucoup de choses avaient été réglées par l'action diligente de Zelda, et que celle-ci arrivait au bout de son autrefois longue liste d'excuse. C'est fou ce qu'on peut faire en dix ans avec un royaume qui vous suit et une relique divine comme guide. Cependant, ce n'était pas le seul argument avancé par son conseil cette fois-là. L'absence d'obligations impératives était une chose, mais à cela s'ajoutait l'âge de la princesse. Elle venait d'avoir trente ans.

Zelda - Avant le délugeWhere stories live. Discover now