Chapitre 9 : Une prison à ciel ouvert

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Oliver avait déjà eu vent des innombrables surnoms du nouveau quartier pour non-purs. L'autre Venatio. La muraille. L'antre des monstres. Maintenant de l'autre côté, d'autres titres lui venaient en tête. Le quartier du gibier. Le cimetière. Les rues de la mort.

Personne, pas même Oliver qui connaissait Ewilem comme sa poche, ne se doutait de ce qui se passait dans l'enceinte des murs du ghetto. Personne n'aurait voulu le savoir. Il aurait payé cher pour ne l'avoir jamais su. Voilà quelques jours que le capitaine de la milice l'avait démasqué et jeté avec les siens dans l'espace qui leur était réservé. Voilà quelques jours qu'Oliver errait dans les rues du quartier maudit sans aucun but. Depuis l'automne, la périphérie emmurée s'était clairement distinguée du reste de la ville. Ses ruelles, ses maisons, n'avaient plus rien à voir avec la belle Ewilem, celle que l'on nommait 'la ville aux mille couleurs'. C'était le quartier aux mille nuances de gris. Les habitations étaient plus miteuses que jamais, rongées par la misère, démontées pour en faire du combustible. Les rues étaient si boueuses qu'on s'enfonçait parfois jusqu'au genou dans le purin. Et le long des murs s'alignaient les habitants, tous des non-purs, qui tremblaient à chaque bourrasque, qui s'effondraient dans la boue, qui mâchaient les dernières écorces des maigres arbrisseaux du quartier.

Bien sûr, sitôt arrivé dans le quartier, Oliver s'était jeté sur les murs, sous sa forme de belette, pour grimper sur la palissade et s'enfuir. Il avait sous-estimé la force armée du Conseil. A peine arrivé en haut du mur, les coussinets entaillés à cause des tessons de bouteilles, un chien milicien avait aboyé et une flèche l'avait frôlé. Après trois essais vains aux quatre coins du ghetto, il s'était rendu à l'évidence : le seul moyen de sortir, c'était de passer par les grilles. Grilles qui demeuraient scellées.

Cependant, il arrivait qu'elles s'ouvrent. Dans le meilleur des cas, c'était pour laisser passer les chariots des œuvres de charité. Ils s'arrêtaient à l'entrée du ghetto, au milieu de la foule affamée, et distribuait un peu de nourriture pour le peuple qui n'avait même plus le droit de chasser. A chaque fois, il fallait se tenir prêt à jouer des poings, car il n'y avait jamais assez de victuailles pour toute la population impure d'Ewilem. Alors, toute l'énergie des corps était conservée pour deux choses : se battre pour manger, et trouver un abri. Dans ce quartier, on ramenait les shapeshifters à leur condition animale.

Oliver se demandait parfois si ses amis se demandaient où leur ami belette avait bien pu passer. Mais très vite, sa gorge se serrait : ils auraient tôt fait d'apprendre que leur ami était une "saloperie d'hybride", et qu'après tout, son sort ne leur importait plus. A présent, sans sa peau de pur, Oliver était plus seul que jamais.

Une nuit, la neige tomba sur la capitale. A l'extérieur, pour les riches shapeshifters, c'était un événement joyeux qui rimait avec batailles de boules de neige ; à l'intérieur, c'était la mort qui laissait apparaître un pan de sa cape. Au petit matin, lorsque le ghetto se fut drapé de blanc, Oliver déambula dans les rues, blotti dans le drap qu'il avait volé sur le toit d'une tente. Il avait essayé d'en faire un manteau de fortune en en déchirant certaines parties, et pouvait s'estimer heureux d'avoir ses chaussures pour garder ses pieds au sec. Ce matin-là, il aperçut quelque chose dépasser de la neige, une tache noire au milieu de tout ce blanc. Il s'approcha, espérant trouver un vêtement abandonné là, et tira sur l'étoffe qui dépassait. Mais quand la masse émergea de la neige, il glapit d'horreur. C'était le corps bleu d'un petit garçon de trois étés. Il avait encore son pull, mais Oliver n'eut pas le cœur de le lui retirer. Il passa son chemin.

A la distribution de nourriture, il put attraper un morceau de pain au vol. Dès qu'il l'eut enfoui dans sa poche, il se carapata et se cacha à l'abri du vent pour le reste de la journée. Tout ce qu'il avait trouvé pour s'abriter, c'était une partie de la palissade qui penchait vers l'Ouest. C'était peu, pour ainsi dire. Oliver regrettait sa petite chambre dans le quartier de l'Amarok. Il regrettait aussi son feu de cheminée. Il y avait bien quelques braseros qui ponctuaient les rues, et Oliver s'y rendait parfois quand il avait trop froid. Et lorsque la nuit tomba sur le ghetto et que les températures descendirent dans des extrêmes, il se résolut à rejoindre le plus proche.

Legend of Shapeshifters (T3)Where stories live. Discover now