Chrysalid - 2

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La Déchéance


De retour au bercail, on nous accueillit en héros. Le terme était faible. Nous étions des géants, presque des dieux. Notre groupe rentrait avec quatre rescapés seulement, après être parti à dix. C'était plutôt un bon score, si l'on considérait notre prise.

L'Ange attirait tous les regards, toutes les convoitises. On pouvait lire dans les yeux des survivants un mélange d'adoration mystique, et de fureur vengeresse. Pourquoi de telles créatures avaient-elles le droit de vivre, tandis que nous dépérissions ?

La Reine elle-même nous convia dans son antre. C'était un sanctuaire en pierre brute, à l'écart des grandes cités, situé sur un promontoire montagneux. Un lieu de festoiement et de débauche permanents. A l'intérieur des remparts, de grandes salles voûtées se succédaient, remplies des mêmes individus agressifs et faméliques. Il n'y avait ici aucune assurance de trouver la sécurité, bien au contraire. Le nombre et les murailles protégeaient contre les bêtes sauvages, de l'extérieur, mais en rien contre les autres survivants, à l'intérieur, qui disputaient leur place en ce lieu, et se battaient pour la moindre parcelle de vin ou de nourriture.

On nous installa dans la plus grande Salle, sous les grands lustres de candélabres, face aux membres les plus éminents de la communauté. Ces derniers avaient considérablement changé rien que pendant les quelques semaines de ma campagne. Tout tournait vite, ici. Je repérai Jurggen, qui avait été mon élève et mon protégé pendant plusieurs années. Il avait pris son envol, il avait son propre groupe. Mon absence lui avait permis de s'élever dans la hiérarchie de la Cour. Il était désormais chargé de chasser pour eux, si je restais leur champion, il était leur chevalier.

Je lus dans les yeux de Jurggen sa colère, de me voir revenir. Il aspirait à davantage qu'un second rôle dans la caste des chasseurs, c'était évident. C'était une brute, comme moi. Pas aussi grand, mais plus jeune, et moins atteint de maladies dégénérescentes. Il avait beaucoup appris sous mon aile. Aujourd'hui, j'étais devenu un obstacle pour lui, l'homme à abattre.

Ce ne serait pas pour ce soir en tout cas. Je raffermissais avec mon exploit ma position pour de nombreuses lunes. Sauf s'il allait chasser les Anges lui aussi, il lui serait difficile de me débouter. Il lui restait à attendre ma mort, peut-être pas si lointaine après tout, ou à la provoquer d'une autre manière.

Mais à nouveau, pas ce soir.

Ce soir nous fûmes fêtés comme les géants que nous étions. Une grande cage permit d'accueillir la Nymphe, qui se débattit avec une rage aussi effrayante qu'inconsciente. Elle vola et percuta frénétiquement les grilles de métal, plusieurs fois, comme sans comprendre, jusqu'à se blesser. Cela au plus grand plaisir des spectateurs, qui s'enflammaient devant ce spectacle à la fois de toute beauté, et d'une cruauté sans nom.

Ce n'est qu'au terme de nombreuses blessures et pertes de conscience que l'Ange se résigna à sa captivité. Sa flamme avait été emprisonnée. Il se recroquevilla au coeur de sa cellule, et resta couché sur le sol, à respirer très vite, comme un animal affaibli, dénué d'espoir. Sa poitrine se soulevait, agitée de petits spasmes.

Durant de longs moments, j'observai cette pauvre chose, cette merveille de la nature, cette perle d'innocence, fauchée en pleine jeunesse. On pouvait sûrement dire la même chose de nombre d'êtres humains, mais ce n'était pas tout à fait pareil. D'après les racontars, nous étions une espèce ancienne, qui avait eu sa chance, et l'avait gâchée. Une espèce qui méritait la déchéance. Nous l'avions provoquée même, selon l'idéologie fondatrice communément admise.

Voyages oniriques : nouvelles de Science-fictionOn viuen les histories. Descobreix ara