Roméo versus Juliet (fin)

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C'est ainsi que Juliet, après avoir supporté le doute de l'équipage, en vint à représenter son espoir. Nuit et jour, elle essayait de déchiffrer les signaux que lui transmettait Roméo, puis de lui répondre en adaptant son propre langage.

Elle n'avait qu'une idée vague de ce qu'il cherchait à dire, et pensait qu'il en était de même pour Roméo. Elle était tout aussi incapable de décrire cette relation que la science de l'expliquer. Mais quelque chose entre eux grandissait, plus fort que leurs différences.

Grâce aux efforts concertés des deux représentants, peu à peu, un semblant de dialogue reprit entre les deux civilisations. Du statut d'ennemis, ils retrouvèrent celui d'étrangers attentifs. Ainsi le conseil des officiers, encouragé par ce renouveau diplomatique, donna le feu vert au Commandant Tibhor pour organiser une seconde rencontre.

Juliet s'efforça d'orchestrer cet événement avec ses propres moyens, et bien que sans jamais obtenir de certitude, elle avait l'intuition qu'ils se comprenaient. Si bien qu'elle ne fut pas étonnée, dans les semaines qui suivirent, de voir une nouvelle navette spatiale surgir du vaisseau Végan. Un vaisseau à bord duquel, prétendait-elle, se trouvait Roméo.

La navette envoyée à sa rencontre par MISSION fut baptisée ESPOIR, pour des raisons de superstition. Et Juliet, ainsi que deux pilotes, embarqua à bord pour rencontrer Roméo, les espoirs de toute la race humaine reposant sur ses épaules.


Les deux navettes se rapprochèrent du point de rendez-vous. Elles portaient sur leur apparence même les divergences de pensée des deux espèces. ESPOIR était froide comme le métal, géométrique, symétrique, utilitariste, là où l'engin Végan démontrait une forme d'irrationalité et de poésie inutile, tant dans son aspect que ses matériaux constitutifs.

Durant cette approche, dans le poste de contrôle, l'atmosphère était électrique. L'équipage vibrait de chœur avec Juliet.

Tibhor en revanche était incapable d'ignorer ses doutes. Les Végans n'étaient pas seulement incompréhensibles par leur façon de communiquer, ils l'étaient aussi par leur comportement. D'abord amis, ensuite ennemis, puis à nouveau amis...

N'avaient-ils pas jusque-là saboté leurs tentatives ? Pourquoi ne recommenceraient-ils pas ? N'était-ce pas un piège en réalité ? Ils s'étaient imaginés être seuls responsables de l'échec de leurs premières tentatives de communication ; à présent, Tibhor n'en était plus aussi convaincu.

Après tout on ne connaissait rien des Végans. Même si Juliet faisait confiance à Roméo, cela ne prouvait rien concernant son peuple. Rien ne leur assurait qu'ils n'avaient pas affaire à des êtres parfaitement machiavéliques. Leur technologie semblait moins évoluée que celle des humains, mais qu'en était-il de leurs mentalités, de leurs instincts ? Leur pensée complexe les avait peut-être menés vers des capacités différentes.

Leur retard technique présumé n'était peut-être pas un signe de faiblesse, peut-être cachait-il une autre forme de puissance, mentale, une psyché si supérieure à la psyché terrienne qu'ils n'auraient rien à gagner de leur rencontre, voire même qui pouvait se révéler dangereuse.

Rien ne pouvait leur assurer qu'ils seraient bien traités par une civilisation les surpassant intellectuellement, rien n'obligeait à ce qu'une civilisation évoluée soit pacifique, surtout si elle craignait pour sa survie.


C'est dans une angoisse croissante que Tibhor suivait l'avancée de la navette ESPOIR. Dieu avait-il vraiment voulu que l'être humain trouve le moyen de franchir les barrières de l'espace pour rencontrer d'autres créatures ? S'il avait doté ses créatures - végans et terriens - de deux langages et modes de pensée inconciliables, n'était-ce pas pour une bonne raison ?

Voyages oniriques : nouvelles de Science-fictionWhere stories live. Discover now