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— Va te faire foutre, tocard, balancé-je dans la face de Fabio Valentini.

Il reste cloué devant cette repartie subite qu'un être de la gent féminine est capable de lui offrir.

Je me retiens de lui arracher la tête et pince mes lèvres entre elles pour garder en moi toutes les incantations plus vulgaires les unes que les autres qui ont envie de franchir les portes de mon être à nouveau.

— Mlle Legrand, un peu de retenue ! s'offusque M. Hubert, le professeur d'EPS pourtant le plus détendu du lycée.

Mais au lycée privé Charles Darwin, l'école des biens pensants, l'échelle de la détente possède son barème bien à elle. Le silence passe avant le rire, le regard blasé avant le sourire et tout acte impulsif se voit bannir.

Un lycée de professeurs coincés accueillant des élèves bien trop dévergondés. À trop interdire toute pensée osée, on finit par créer des êtres affamés. Résultat : Darwin est une cage aux fauves, félins aux regards de feu, brûlant de désir pour des gazelles, tout aussi réchauffées.

Fabio Valentini, c'est un peu le roi de cette savane. Mais, aujourd'hui, alors qu'exprimant toute sa virilité il a rugi pour éveiller les désirs de la belle Agathe, il est loin de s'attendre à un « Va te faire foutre, tocard » hurlé sur le terrain de basket par ma personne.

Agathe Legrand répondant à Fabio Valentini, ça attire bien des curieux. Plus personne ne court sur le terrain, le jeu a été mis en pause. Son corps de beau lion en chaleur, boucles châtaines au vent, t-shirt de surfeur et yeux noirs à vous faire chavirer, me font face. Mais le félin, devenu alors chaton, ne fait pas le poids en duel face à mon regard noir et mes joues rouges de colère.

M. Hubert ne sait plus où se mettre entre nous.

— De la retenue, monsieur ? répété-je haut et fort pour que notre public puisse saisir toute cette amorale discussion. Mais croyez-vous qu'il en possède une once, lui, pour venir me chuchoter à l'oreille que je « prends fuite » ?

Du haut ma petite taille, je pointe alors Fabio du doigt puis lève bien haut ma jambe pour partager aux quelques retardataires qui ne l'auraient pas encore vu, la tache de sang qui marque mon short de sport.

J'entre-aperçois Leila et Marylise lever les yeux au ciel, et quelques âmes sensibles du côté de la gent masculine détourner le regard. M. Hubert est le premier de ce groupe-là.

— Alors oui, une tache de sang a peinturluré mon short et je ne m'en suis pas aperçu, mais c'est avec de la retenue qu'on informe une personne de ce genre d'incident, qui n'a d'ailleurs rien avoir avec le fait d'avoir une « fuite », M. Hubert. Inculquez ça dans la tête de vos élèves plutôt que de m'agacer pour un simple « tocard » mérité.

L'intégrité de la classe de terminale A me regarde, mi-effrayée devant ma rage incontrôlée, mi-amusée de voir M. Hubert se faire discipliner. Je suis à bout de nerfs et mon short est en train de prendre une nouvelle teinte. Il me faut conclure au plus vite.

— Sur ce, joyeuse assemblée, je vais m'éclipser avec la discrétion que vous allez m'offrir afin de me changer. Car, voyez-vous, j'ai mes règles pour la première fois de ma vie et, là, tout de suite, c'est assez intimidant.

Sur ces derniers mots, je me détourne et m'enfuis en courant en direction des toilettes, dans les vestiaires.

Je ferme la porte à clé et m'empresse de descendre mon short le long de mes cuisses. Ma culotte est rouge, trempée, baignée de ce sang que j'aurais aimé avoir senti venir avant qu'il ne s'attaque à mon short. Pourtant, il est arrivé comme une lettre à la poste, un lundi matin banal, alors que d'un dribble bien réfléchi j'avais piqué le ballon à Fabio et ses gros biscoteaux.

Foutu sang.

Je me sens agacée, énervée de la remarque qui m'a été faite, de la bouche de Fabio qui s'est collée à mon oreille, que mes règles ont mis si longtemps à débarquer dans ma vie pour se pointer à un moment si peu opportun. Et, en même temps, je suis animée d'un soulagement indescriptible. Celui de découvrir ces petites gouttes, mes petites gouttes, pour la première fois.

Je n'ai aucune idée de comment gérer ça. Je n'ai prévu aucun sous-vêtement de rechange, aucune protection hygiénique. Ma jupe propre m'attend dans le vestiaire, mais rien d'autre.

Je tire sur le papier toilette qu'il reste dans la cabine et viens imbiber tout ce qu'il y a d'absorbable. Ce n'est évidemment pas d'une grande réussite, mais je suis à court d'idée.

Et c'est alors que mon sauveur est arrivé.

— Agathe ? T'es là ? m'appelle une voix

Je rougis. C'est Lily.

— Ouais, marmonné-je, je suis au fond du trou.

— Tu veux un tampon ?

— Honnêtement, ça me sauverait.

Sa main fine et délicate m'apparaît sous la porte des toilettes, un petit tampon tendu au bout des doigts.

Me saisissant de l'objet, je suis tout à coup intimidée. Je n'ai jamais craint le noir, le vide, les profondeurs sous-marines. J'ai regardé pour la première fois Boromir se faire éclater par les Orcs à l'âge de six ans, et suis montée dans le Train de la Mine de Disneyland à sept. La peur elle-même ne sait me faire trembler. Pourtant, à cet instant, je suis tétanisée devant ce petit bouche trou.

— Lily, soufflé-je, pas prête à avouer cette crainte de vive voix, je ne sais pas mettre un tampon.

Mon amie rit de bon cœur derrière la porte. C'est tendre et rassurant.

— Franchement, Agathe, il n'y a pas mille solutions.

— J'ai compris que je devais me le foutre dans le vagin, la question est : comment ? où ? quelle profondeur ? vais-je avoir mal ?

— Meuf, enfonce-le.

Je m'exécute. Je sors le tampon de son emballage plastique, écarte mes jambes avec autant d'habilité que l'étroite cabine des toilettes rend possible, et je tente une percée dans les lignes ennemies.

— J'y arrive pas.

— Enfonce-le !

— Je te jure, j'peux pas.

— Agathe !

— J'ai peur !

Lily rit de plus belle au-dehors des toilettes.

— Bon, tu ne me laisses pas le choix. T'as de la chance de m'avoir.

Sa main se faufile à nouveau sous la porte pour me tendre, cette fois, une culotte noire.

— C'est ma culotte menstruelle. Elle est lavée. Je n'ai rien d'autre alors porte ça.

— Et je peux abandonner le tampon ?

— Ouais, fous-le à la poubelle.

Ravie, je jette cette abomination démoniaque et j'enfile le sous-vêtement que me prête Lily. À Darwin, on s'échange maintenant les dessous. Si le Proviseur apprenait ce dévergondage collectif, il en tomberait de haut.

Je me rhabille et sors enfin de ces fichues toilettes. Lily m'attend, ravie de me retrouver en pleine forme.

— Ça va mieux ?

— Je pète le feu !

Allons donc ! Je porte les sous-vêtements de Lily, que pourrait-il m'arriver de mieux en ce misérable jour de janvier ?

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Bienvenue au lycée Darwin, et dans la tête d'Agathe ! 🌴

Au programme : des chapitres plutôt courts comme celui-ci et cette fichue histoire de culotte. 

J'espère que ce premier chapitre vous a plu ?

On se retrouve samedi pour le deuxième ✨

La Loi de la JungleDonde viven las historias. Descúbrelo ahora