[5] Allô la Lune

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Lorsque le blond se retourna avec la casserole dans les mains et qu'il la posa sur la table, ses pupilles brûlaient d'un air fier. Il se servit généreusement avant de s'assoir à côté de son ami et de le servir à son tour. Il posa la cuillère. Il avait furieusement faim, Minho, mais en aucun cas il ne s'autoriserait à sauter sur le plat comme s'il en crevait d'envie depuis un quart d'heure. Il ne pouvait pas offrir ce plaisir au blond.

- Si tu attends que je te serve, tu rêves. Tu as deux mains, c'est amplement suffisant, annonça le cuistot.

Changbin aurait à nouveau levé les yeux au ciel s'il n'avait pas été concentré sur l'engloutissement de ses spaghettis ; surtout ne pas se tâcher, pensait-il. Sinon Felix risquait de décuver bien vite.

Han prit une première bouchée ; il avait vu l'éclair d'admiration qui avait traversé le regard de son voisin alors qu'il avait posé le plat sur la table, et il en retirait une certaine fierté. Ses yeux s'éclairèrent d'une satisfaction éclatante quand il avala sa bouchée, je ne les ai pas ratées celles-là, et Minho ne put retenir ses pensées : Jisung avait de beaux yeux lorsqu'il était heureux. L'enchantement les faisait briller de mille et un feux.

Son ventre étouffa un nouveau gargouillis.

Peu importaient les conséquences, pensa-t-il alors, il mettrait ses actes sur la conscience de la chaleur, il n'en pouvait plus, il lui fallait goûter ces spaghettis. Alors sur un coup de tête il récupéra la louche et se servit une plâtrée de pâtes sous l'œil satisfait de Han. Puis reprenant ses esprits, il voulut encore paraître un tantinet réticent : Minho prit mollement sa fourchette avant de la planter circonspectement dans son plat ; raté, sa crédibilité avait dû en prendre un sale coup. Le fumet appétissant lui titillait les narines, lui mettait l'eau à la bouche.

- Putain mec, tu t'es vraiment démené cette fois, souffla Changbin qui avait déjà dévoré plus de la moitié de son assiette.

Et cette phrase finit de faire craquer l'invité. Minho attaqua une bouchée. À l'instant même où celle-ci touchait son palais, il sut qu'il n'en avait jamais mangé d'aussi bonnes, elles dépassaient tout ce qu'il avait imaginé. Et ce n'était pas rien, dans son quotidien de glouton, il en avait bouffé des pâtes. Celles-là, elles étaient simples mais à tomber par terre. À nouveau, il se demanda pourquoi son voisin n'allait pas faire carrière dans la restauration.

Il prit une seconde bouchée, c'était lâche d'attaquer ses sens au moment où ils étaient les plus vulnérables. La chaleur, l'envie, août, c'était eux les responsables. Les parfums envahissaient sa cavité buccale, il savait qu'il ne pourrait plus manger de bolognaises sans les trouver fades, sans goût. Coups de fourchette après coups de fourchette, il n'en avait déjà plus. Il releva la tête. Han le fixait avec des yeux remplis d'étoiles, en attente d'un verdict. Comment avait-il fait pour ignorer la beauté de ces yeux avant ? Il y resta accroché un instant ; l'impression que son appétit était tiré dans trop de directions, il avait faim, de tomates, de viande, mais aussi d'étoiles et de ces "Minho" ; ici la Lune.

- Alors ? demanda Changbin.

Minho inspira.

- C'est meilleur que le provolone, l'aliment le plus mauvais du monde, expira-t-il. Il exagérait peut-être un peu sur cette affirmation, mais il avait failli faire une gaffe alors il était soulagé.

Changbin s'étrangla de rire avec sa dernière spaghetti alors que les étoiles disparaissaient des yeux de Jisung ; dommage, pensa inconsciemment Minho, il avait toujours cultivé un attrait particulier à l'univers et, Sin qu'elles étaient belles dans ses yeux. Mais il n'eut pas le temps de les regretter qu'elles furent remplacées par la lueur sarcastique des grands jours. Il le sut aussitôt, le revers allait arriver. Sec, direct, implacable, il ne pourrait rien faire. Il avait déjà rencontré ces répliques contre lesquelles l'art rhétorique semblait dérisoire. Elles résonnaient au plus profond de toi et te désarçonnaient assez pour empêcher ton cerveau de former un nouveau mensonge. Et celle-ci, il ne la respirait pas du tout. Changbin toussait encore, il s'étranglerait à coup sûr de nouveau.

Heureusement pour lui, Felix débarqua au même moment en trainant les pieds depuis le salon, le t-shirt Honey, you should see me in a Crown, un grand classique australien, tout froissé et les cheveux en épis, coupant court Han dans son élan. Minho n'était pas sûr qu'il ait totalement dessoulé, et ses doutes furent confirmés quand à peine entré dans la cuisine, Felix fit volte-face et se mit à courir dans le salon une main sur la bouche, demandant précipitamment à Han où sont les toilettes !

- Porte à gauche du canapé ! répondit vivement celui-ci avant de se tourner vers les deux invités, eh beh, je sais pas ce qu'il a bu mais ça devait être fort !

Les yeux de Minho sourirent à cette affirmation et lorsqu'il croisa le regard amusé de Changbin, bien que la situation ne soit dans le fond pas très drôle, ils éclatèrent d'un rire complice. Une des premières fois qu'ils riaient ensemble sûrement, ils avaient le même souvenir en tête, celui de la fois où l'Australien avait essayé de draguer Changbin après un verre de cidre lors d'un pique-nique dans une abbaye. Il lui avait fabriqué un bouquet d'herbe verte, s'était allongé devant lui, avant de le lui offrir en affirmant qu'il était de la même couleur parfaite que ses yeux et que le bon dieu descendrait du ciel s'il acceptait son modeste présent. Changbin avait les yeux noirs profonds et ils étaient tous les deux athées mais peu importait.

Han les regardait un peu abasourdi que ses mots aient déclenché un tel fou rire.

- Il lui suffit d'un doigt de champagne pour être dans cet état.

Et cela plut à Jisung, que ce soit Minho qui lui explique, un peu comme s'il avait fait attention à lui, sans qu'il n'ait besoin de le provoquer, sans qu'il n'ait, lui, besoin d'utiliser son ton sarcastique. Pourtant sa voix sonnait décidément bien mieux quand elle s'était privée de toute sa bonté pour laisser place à la malice asticotrice qui lui semblait uniquement destinée, Jisung aimait encore plus.

Pour t'embrasser sous le Sun (Minsung)Where stories live. Discover now