[1] En maudissant le soleil

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Zemblanité : découverte inévitable et volontaire de ce que nous préférerions ne pas savoir (provient d'un roman de William Boyd, Armadillo ; cont. sérendipité).

Préjudice d'anxiété (préjudice moral en droit civil français) : situation d'anxiété permanente face au risque constant de déclaration d'une maladie affectant la santé mentale.

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[ Premier shot de soleil ]

[☀️]

Il se dit : ce mois ne finira donc jamais ? Puis Minho se rectifia, il n'avait pas le droit de l'appeler "ce mois", août était le seul qu'il exécrait du plus profond de son âme, il lui devait un minimum de respect.

Chaque été il se le répétait : je ne craquerai pas cette fois-ci, l'année dernière il était bien trop insurpassable, cet août sera forcément moins chaud.

Systématiquement, il se prenait un large revers.

Il supportait plus ou moins la chaleur de mai à juillet sans broncher, puis lorsqu'août arrivait, il s'écriait "non !, pas encore un mois", et il craquait. Là où il se contentait habituellement de se mordre la lèvre, en cette période, quand il touchait cette ceinture de sécurité qui avait ingurgité toute la chaleur du soleil pendant son absence, l'entièreté de la vulgarité contenue dans son vocabulaire sortait de sa bouche sous forme de cris étouffés dans son poing. Les simples allers-retours de son formidable appartement avec clim caput au point X se transformaient en courses contre les UV.

En arrivant chez lui, il fonçait comme à son habitude sous la douche la plus chaude possible et s'adossait contre le mur frais à carreaux verts et jaunes. Il souffla, plus que deux semaines de calvaire et ce serait la rentrée. Le 1er septembre le temps s'adoucissait toujours, comme s'il se rendait compte que cette chaleur serait insupportable en amphi, et il avait bien raison.

L'eau le brûla légèrement, le tirant de ses pensées. Il se dépêcha de la couper et chercha des yeux sa serviette en grelottant un peu. Il avait dû l'oublier dans le salon. Il sortit de la salle de bain nu comme un ver. Pas de serviette dans le salon. Peut-être dans sa chambre...? Non...Dans la cuisine ? Il ne voyait pas pourquoi elle serait là-bas mais, tant que j'y suis autant vérifier. Il s'en doutait, c'était absurde. Les toilettes ? Non plus ? Où, alors ? Il retourna s'asseoir sur son canapé en claquant des dents.

Quel comble, je vais finir par attraper froid sous 40°C, en août, se lamenta-t-il en récupérant le plaid bleu clair qui reposait sur Soonie, son chat roux. Celui-ci ouvrit un œil en sentant la chaleur quitter son corps et le fusilla du regard lorsqu'il comprit qu'il lui avait retiré sa couverture. Mais Minho l'ignora et il s'en alla, vexé, de sa démarche claudicante vers le balcon.

L'humain balança sa tête en arrière pour regarder le plafond, elle est où cette foutue serviette, et il éternua. Ça y est, j'ai choppé un rhume, quel mois pourri, août, quand même. On bouillait, la plupart des gens restaient chez eux, presque tous les commerces étaient fermés, on te regardait de travers quand tu commandais un chocolat chaud, les glaces étaient en rupture de stock. Nouvel éternuement. Il débarquait tel une zemblanité et annulait à lui seul tout le calme qu'inspiraient les vacances d'été. Je pourrais en développer un préjudice d'anxiété ! Mais à qui faire le procès ? Reniflement. De mieux en mieux... J'ai le nez qui coule maintenant. Et la chaleur étouffante revenait à grands pas. Flemme de lever mon postérieur pour rejoindre ma chambre et me couvrir. Elle était pourtant à cinq mètres à peine de lui. Mais il fallait contourner le canapé, et pousser la chaise du bar de la cuisine qu'il avait laissé dans le passage, tout un parcours d'obstacles pour son corps engourdi.

La chaleur du plaid disparut soudainement. Il baissa la tête en entendant Soonie râler. Le chat le fixait en tirant le plaid par terre à l'aide de ses griffes, un bout de la serviette de son maître dans la gueule, le restant trainait derrière lui.

- Où est-ce que t'as bien pu trouver ça mon vieux ? lui demanda-t-il rhétoriquement en secouant son Graal avant de s'en entourer.

Cette arrivée lui donna enfin la force de mettre fin à sa session de nudisme et il se dirigea à pas lourds vers son lit sur lequel il se retint de s'étaler. Il enfila les habits les plus légers et clairs possible puis, alors qu'il s'affalait enfin sur son matelas moelleux, la sonnette lui vrilla les tympans.

- Qui ça peut bien être ? gémit-il de mécontentement en s'étirant.

Sa main vint remettre un léger ordre dans ses cheveux, histoire d'être un minimum présentable ; peut-être que c'est le juge qui m'invite au procès du mois d'août ! Cette idée le revigora assez pour pouvoir ouvrir la porte avec un grand sourire.

Il resta figé quelques instants en découvrant la personne qui se tenait devant lui, le soleil devait sérieusement lui taper sur le ciboulot à travers le plafond : que fait le grand Han Jisung sur le pas de ma porte avec une valise ? Le brun se frotta les yeux mais l'autre était encore là. Qu'est-ce qu'il lui prend de venir dans les immeubles de l'université à ce bourge ?

Une expression de surprise s'imprima peu à peu sur le visage de l'intrus lent à la détente.

- Oh, excuse-moi, je me suis trompé de porte.

Oh, vraiment ? Je pense tu t'es carrément trompé de bâtiment, mec. Enfin Minho voulait rester poli, Han n'avait pas l'air dans son assiette aujourd'hui.

- Hum, sortit-il donc simplement à la place.

Et il lui claqua la porte au nez, produisant un courant d'air bienvenu en ce temps caniculaire. À quel moment avait-il pu s'imaginer qu'août irait se faire juger pour un excès de chaleur ?

Pour t'embrasser sous le Sun (Minsung)Where stories live. Discover now